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Ma communion par Jacqueline M.

19 octobre 2011, 16:46, par Jean N.

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J’ai trouvé bien touchant ce récit d’une première communion marquée par la joie de porter une belle robe. J’ai gardé de cette cérémonie un souvenir différent. Le jour de ma première communion a été celui de ma première cigarette.

Pour préparer la solennelle cérémonie, il fallait nécessairement suivre avant la classe, pendant un an dans l’église glaciale, le cours de catéchisme, donc se lever dès potron-minet. Mon père qui ne fréquentait jamais l’église a obtenu un compromis du curé : d’accord pour la communion, à condition de ne faire que trois mois de catéchisme matinal. Papa estimait que je recevais suffisamment d’enseignement religieux pendant la journée en l’école paroissiale choisie pour sa proximité. On était « après la guerre », celle de 14-18, huit ans avant la suivante.

Un examen terminait les séances de catéchisme ; comme je répugnais à étudier ce petit livre consistant en une série de questions avec les réponses dictées, j’ai été classé avant-dernier et partant, installé dans le chœur à la place des cancres, embarrassé de mon cierge, parmi les costumes marins des jeunes mâles à droite et les robes blanches de petites mariées, à gauche.

La cérémonie dans la Maison de Dieu s’est complétée par des agapes en la nôtre. Souvent, à cette occasion, le culte de Bacchus est célébré avec plus d’éclat et d’ardeur que celui de Jésus. Ce n’était pas le cas chez nous, c’est avec modération qu’on dégustait les vins de la Maison Solms et Simon, l’entreprise de mon grand-père maternel et les plats concoctés par son cuisinier, Monsieur Henri. Le menu que j’ai retrouvé bien des années plus tard m’a rappelé les mets du jour. Mon oncle et ma tante étaient de la fête. Mais pas les cousines ; pas d’autres enfants, sauf ma petite sœur. Les plaisirs conviviaux étaient réservés aux adultes. J’avais été suffisamment à l’honneur pendant la partie proprement liturgique de la journée. Ce n’est pas parce que j’étais le héros du jour que la tenue à table, au cours de cet interminable menu, devait se relâcher. Surtout en présence d’hôtes rares. Ces agapes étaient en plus grand, en plus solennel, aussi ennuyeuses, aussi grosses de conflit que les pénibles repas tradi¬tionnels du dimanche midi chez mes grands-parents maternels. Les sessions à table se prolongeaient. Les enfants, voués au silence, s’ennuyaient et devenaient grincheux. Père et grand-père discutaient sans animosité, mais étaient rarement d’accord, l’un raisonnant en fonctionnaire mal payé mais à l’avenir assuré, l’autre en commerçant aisé mais soumis aux aléas du marché.

Lors du « grand jour », une seule éclaircie se présenta vers quinze heures, quand je suis allé, seul, au service religieux obligatoire de l’après-midi et ai perdu un temps maximum sur le chemin de retour après avoir fumé la cigarette que j’avais subtilisée dans le paquet de Turmac de mon père. J’ai accompli ce forfait derrière l’église, près de la fausse grotte de l’Immaculée Conception. J’avais été gratifié des traditionnels cadeaux : ma première montre, un chronomètre Cyma ; un luxueux missel relié en pleine peau et... un étui à cigarettes en argent ! Pour un gamin de dix ans ! C’était une invitation à me montrer viril en fumant comme les adultes. Ainsi, dès l’après-midi de ce jour solennel, le nouveau communiant n’était déjà plus en état de grâce.

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