Ages et transmissions https://agesettransmissions.be/ Créée en 97, Ages et Transmissions est une asbl pluraliste bruxelloise permettant aux aînés de jouer un rôle actif dans la société. Elle est reconnue comme organisme d'éducation permanente par la Fédération Wallonie-Bruxelles. fr SPIP - www.spip.net Ages et transmissions https://agesettransmissions.be/local/cache-vignettes/L144xH138/siteon0-31eb6.png?1703182657 https://agesettransmissions.be/ 138 144 Pourquoi avoir quitté la Hongrie ? (Elisabeth) https://agesettransmissions.be/spip.php?article1134 https://agesettransmissions.be/spip.php?article1134 2017-09-05T12:23:25Z text/html fr Sylvie (A&T) Solidarité Guerres autres <p>Ce texte fait partie du feuilleton d'Elisabeth "Entre Hongrie et Belgique, un chemin d'immigration" Lire l'ensemble <br class='autobr' /> Ayant été sollicitée pour écrire sur les motivations qui ont poussé mes parents à quitter leur pays le 21 décembre 1957, il n'est pas simple pour moi de remonter l'horloge du temps de bientôt 60 années, surtout qu'il n'y a plus personne que je puisse interroger sur ce sujet. Donc je vais creuser en mes propres souvenirs et en ce que j'entendis raconter par mes parents plus tard. <br class='autobr' /> Ce que je (...)</p> - <a href="https://agesettransmissions.be/spip.php?rubrique164" rel="directory">Entre Hongrie et Belgique, un chemin d'immigration (Elisabeth H.)</a> / <a href="https://agesettransmissions.be/spip.php?mot163" rel="tag">Solidarité</a>, <a href="https://agesettransmissions.be/spip.php?mot192" rel="tag">Guerres autres</a> <img class='spip_logo spip_logo_right spip_logos' alt="" style='float:right' src='https://agesettransmissions.be/local/cache-vignettes/L150xH97/arton1134-58baa.jpg?1703617991' width='150' height='97' /> <div class='rss_chapo'><p>Ce texte fait partie du feuilleton d'Elisabeth "Entre Hongrie et Belgique, un chemin d'immigration" <a href='https://agesettransmissions.be/spip.php?rubrique164' class='spip_in'>Lire l'ensemble</a></p></div> <div class='rss_texte'><p>Ayant été sollicitée pour écrire sur les motivations qui ont poussé mes parents à quitter leur pays le 21 décembre 1957, il n'est pas simple pour moi de remonter l'horloge du temps de bientôt 60 années, surtout qu'il n'y a plus personne que je puisse interroger sur ce sujet. Donc je vais creuser en mes propres souvenirs et en ce que j'entendis raconter par mes parents plus tard.</p> <p>Ce que je sais, c'est qu'avoir changé de pays n'a pas trop bouleversé l'enfant de 8 ans que j'étais : l'enfant se sent toujours bien là où sont ses parents. Ce sont eux qui se sont chargés de tout le poids de la vie, ayant à coeur de nous laisser vivre le plus longtemps possible l'insouciance de l'enfance. Mes frères et moi ignorions tout concernant leur décision et les préparatifs se sont faits clans la plus grande discrétion. Nous n'avons même pas salué nos copains ou copines de classe avant de partir. En interrogeant aujourd'hui mes frères jumeaux, de trois ans mes aînés, eux non plus n'ont que peu de souvenirs.</p> <p>L'enfant ne regarde pas en arrière, il se projette toujours dans le futur. Ainsi, je ne garde de ma vie en Hongrie que des flashs, sans aucun autre ressenti que d'avoir été entourée, protégée par des parents aimants, d'une grand-mère, un parrain et une marraine et une tante encore célibataire. Il y avait aussi un cousin du même âge que mes frères ainsi qu'une cousine plus grande que nous mais qui ne partageait plus nos jeux.</p> <p>Du côté de papa il n'y avait plus de famille à part le grand-père paternel habitant à Budapest, qui se situait à 2.00 km au nord de notre ville. Il serait venu l'une ou l'autre fois pour passer Noël avec nous, mais je ne garde aucun souvenir de lui. Donc notre famille n'était pas bien grande. <br class='autobr' /> Aujourd'hui, ne restent plus que le cousin et la cousine, et la famille qui s'est agrandie par les mariages et les naissances.</p> <p>Pour comprendre le motif de notre départ, il faut que je raconte l'histoire de mon père.<br class='autobr' /> H est né le 25 juin 1914 à Budapest. Donc toute son enfance et sa jeunesse se sont déroulées pendant les années d'entre-deux guerres, dans la capitale, où la vie n'était pas facile ; à cette époque les gens vivaient mieux à la campagne, paraît-il. Après lui, avec quelques années de distance, mon grand-père ayant sans doute été mobilisé durant la guerre 14-18, sont nées encore deux petites soeurs. Ma grand-mère avait une santé précaire : une maladie l'a emportée trop tôt, laissant à charge de son mari deux petites filles autour de 10 ans et mon père qui devait avoir 15 ou 16 ans.</p> <p>Rapidement mon père devint apprenti dans un garage ce qu'il n'aimait pas. Voulant continuer ses études, dès que possible, il les a financées lui-même et s'est retrouvé avec des futurs ingénieurs sur les bancs d'école en cours d'après-midi et en cours du soir. Son diplôme en mains, il n'échappa pourtant pas au service militaire qui était de 4 années. Comme la guerre s'était déclarée entretemps, il a investi 7 années de sa vie au service de son pays. Donc il était décidé de rattraper au plus vite le temps perdu.</p> <p>Avant même sa totale démobilisation, étant donné son diplôme, il a obtenu une place stable comme ingénieur de ponts et chaussées. Il s'établit dans notre ville où il prit un logement chez l'habitant, un couple très gentil. Assez rapidement, ce couple lui a présenté une jeune fille à marier qui fut ma mère. Tous deux avaient déjà 31 ans, voulaient se marier et fonder une famille. Le mariage s'est fait simplement, le 2 décembre 1945, en plein hiver.</p> <p>Papa avait un métier de direction. Il était chargé de faire remettre en état les routes dans toute notre province et pour cela il avait une équipe d'ouvriers sous ses ordres. Mes parents habitaient une maison de fonction où, l'année après leur mariage, l'arrivée de jumeaux a donné le bonheur et la fierté à mes parents. Cette fonction-là, papa n'a pas pu la garder plus de 4 ou 5 ans.</p> <p>Après la guerre, les russes n'ont jamais tout à fait quitté la Hongrie et le régime communiste devint de plus en plus oppressant. Tout le monde devait se faire membre du 'Parti', surtout ceux qui occupaient une fonction importante dans la société. Papa, donnant le mauvais exemple à ses ouvriers en refusant de se faire communiste, a été invité à céder sa place, non pas à un plus compétent que lui, mais à un plus obéissant. A cette époque, il fallait suivre les indications d'une famille politique manipulatrice et de plus en plus corrompue.</p> <p>Durant les 7 années de service militaire, il avait suffisamment obéi à des « ordres stupides » comme il disait, donc il était décidé dorénavant à mener sa vie en suivant d'autres valeurs.</p> <p>Il obtint une place à la banque régionale de sa ville. Là, il avait une bonne vue sur les magouilles et les dépenses absurdes dans la gestion du bien commun. Comme il n'avait pas un caractère à garder sa langue en poche, il revendiquait la liberté d'expression et de foi. Tous les dimanches il se rendait à l'église du centre-ville avec sa famille. Nous, les enfants, suivions le cours de religion et allions au catéchisme pour faire notre première communion. Ceci n'était pas au goût du régime communiste qui rassemblait les enfants, étonnamment tous les dimanches matin et les congés scolaires, pour les endoctriner.</p> <p>Un jour, papa fut convoqué devant un conseil où les accusations pleuvaient. Il s'est défendu bec et ongles, connaissant bien tous les articles de loi du nouveau régime, en stipulant les failles et les contradictions que comportaient les accusations. Il fût relâché avec les avertissements nécessaires de se tenir calme car, une prochaine fois, il n'échapperait plus à une condamnation et un enfermement.</p> <p>En octobre 1956, il y eut l'insurrection : les étudiants et la classe intellectuelle en avaient assez de l'oppression russe et voulaient gérer le pays sans ingérence. Ce fut un bain de sang. Comme c'étaient les débuts de la télévision, ici en Belgique, la TV diffusait en continu les événements qui se déroulaient à Budapest et dans les autres grandes villes du pays. Les chars russes sont parvenus à réprimer l'insurrection. Après quoi, ce fut le départ massif de beaucoup de Hongrois qui ne pouvaient plus accepter l'oppression et ceux qui avaient participé activement à la révolution, craignaient pour leur vie. En effet, ont suivi des interrogatoires musclés et des actes de torture pour obtenir des dénonciations, de fausses accusations. Et avec cela, des enfermements, des exécutions, des pendaisons, des déportations en Sibérie, des accidents provoqués pour faire disparaître des personnes gênantes...</p> <p>Mon père n'a pas pris part active à cette insurrection, ne voulant pas compromettre sa famille. Toute la population pourtant a subi les conséquences de cette révolution d'octobre. Je me souviens très vaguement d'une anecdote où, un soir, mes parents nous ont avertis que nous irions peut-être nous réfugier à la cave la nuit. Ce ne fut pas nécessaire. Moi, comme enfant, je n'ai aucun autre souvenir de cette période. Les grandes personnes recevaient de jour en jour les nouvelles de proches qui disparaissaient et ils vivaient dans l'angoisse de ce qui pouvait bien encore leur arriver.</p> <p>La vie de tous les jours serait désormais différente après cette insurrection étouffée.</p> <p>A un certain moment, mon père apprit que des juifs avaient obtenu des papiers pour émigrer en Amérique. Il s'est dit : je ne suis pas juif et je ne veux pas aller en Amérique, mais j'ai deux soeurs qui habitent depuis de longues années en Belgique. Je vais faire la demande pour les rejoindre avec toute ma famille, on verra bien.</p> <p>Durant les années '30, la Belgique avait organisé des vacances pour des enfants hongrois dans des familles d'accueil. Ils arrivaient par trains entiers. Ainsi les deux soeurs de papa sont venues en Belgique, une à Poperinge et l'autre à Ypres. Les familles belges respectives les faisaient revenir les années suivantes aussi. Lorsqu'elles devinrent adultes, elles ont décidé de rester définitivement en Belgique. Tante Thérèse s'est mariée assez tardivement et a eu un fils. Tante Elisabeth ne s'est jamais mariée mais est restée habiter toute sa vie durant, dans sa famille d'accueil où elle a connu six générations.</p> <p>Donc papa, encouragé par ses deux soeurs et leurs familles respectives, a fait la demande de visa pour immigrer avec sa femme et trois enfants en Belgique. C'est invraisemblable, mais il a obtenu les papiers après avoir motivé sa demande. Naturellement, il ne pouvait invoquer le régime communiste qui ne lui convenait pas. II a donné comme motivation sa santé : en effet il n'y avait pas si longtemps qu'il avait été opéré d'un ulcère et que deux tiers de son estomac avait été enlevés. « Il voulait mettre ses enfants et sa femme en sécurité près de ses soeurs en Belgique, au cas où sa santé nécessiterait d'autres soins ».</p> <p>Pour les autorités hongroises c'était clair et net que notre départ serait définitif, sans possibilité de retour. D'ailleurs, tout ce que nous laisserions derrière nous serait confisqué. Ainsi, la femme et le fils d'un sergent nous ont été imposés et sont venus occuper la plus belle pièce de notre maison, déjà plusieurs mois avant notre départ. Après notre départ, ils habiteront toute la maison !</p> <p>Un jour, un photographe vint à la maison pour faire une série de photos. C'était certainement nécessaire pour ajouter le portrait de chacun de nous aux documents et pour donner un souvenir à la famille que nous laissions derrière nous ainsi qu'aux familles qui nous attendaient en Belgique.</p> <p>Dans un premier temps, les autorités belges ont mis leur veto pour nous accueillir pour une durée indéterminée : ils avaient donné accès à des milliers de réfugiés hongrois pendant et après la révolution d'octobre '56 et ils ne voulaient pas accueillir davantage de personnes. La famille belge de mes deux tantes a donné toute la garantie nécessaire aux autorités belges, pour notre accueil : elle assurait le travail pour papa, ainsi que le logement et notre mise en route pour débuter une nouvelle vie. Plus tard nous avons appris que la famille belge était même allée en pèlerinage à Lourdes pour confier à la Sainte Vierge la réussite de notre arrivée.</p> <p>Mes parents n'auraient jamais consenti à risquer le passage de la frontière ou du rideau de fer comme clandestins, risquant leur vie ou la nôtre. Etonnamment, tout s'est fait d'une manière entièrement réglementée.</p> <p>Nous sommes partis avec un jour de retard, parce que, arrivés à Budapest, les autorités de la gare devaient revérifier tous nos documents avant de délivrer le ticket de train. Plus tard, le train prit du retard à la frontière parce que, à nouveau, les gardes-frontières devaient téléphoner à Budapest pour se renseigner à notre sujet. Notre départ, retardé d'un jour, fut providentiel puisque le train que nous aurions dû prendre eut un grave accident en cours de route. La famille qui nous attendait, ayant appris l'accident au journal, était dans l'angoisse jusqu'au moment où un télégramme leur parvint annonçant notre arrivée.</p> <p>J'ai très peu de souvenirs concernant notre départ ainsi que de notre voyage en train. Je sais vaguement que nous avons dormi à Budapest, chez des amis de papa, les deux nuits avant notre départ. Moi je dormais sur deux fauteuils mis l'un en face de l'autre. Ensuite, je me vois dans le compartiment couchette de Vienne à Ostende où un filet fut tiré entre tes cieux couchettes d'en haut dans lequel je pouvais dormir. Pour le reste, je suppose que, pour les enfants que nous étions, mes frères et moi, le voyage devait être excitant, probablement aussi fatigant puisqu'assez long.</p> <p>Très étonnamment, je me souviens très bien de notre arrivée à Ostende, le 22 décembre 1957 et de l'accueil que la 'famille belge' nous fit. J'ai même le souvenir précis de la façon dont j'étais habillée... Étant la plus petite, je me suis sentie directement très entourée. Cette sensation n'a jamais été démentie et je me suis très vite acclimatée à mon nouvel entourage. Nous avons habité durant deux années et demie à Poperinge et j'en garde beaucoup de très bons souvenirs mais ce sera un nouveau chapitre à écrire.</p> <p><a href='https://agesettransmissions.be/spip.php?article1135' class='spip_in'>Lire la suite</a><br class='autobr' /> </p></div> Premier Noël et début d'une nouvelle vie en Belgique (Elisabeth) https://agesettransmissions.be/spip.php?article1135 https://agesettransmissions.be/spip.php?article1135 2017-09-05T12:23:23Z text/html fr Sylvie (A&T) Ecole, études Solidarité <p>Ce texte fait partie du feuilleton d'Elisabeth "Entre Hongrie et Belgique, un chemin d'immigration" Lire l'ensemble <br class='autobr' /> Trois jours après notre arrivée en Belgique, c'était Noël. Notre famille belge a tout fait pour nous rendre cette fête agréable. J'ai reçu une poupée avec de vrais cheveux mais elle n'a jamais remplacé ma poupée bébé, grandeur nature, qui était restée en Hongrie. Elle s'appelait Dodo. Plus tard maman a cousu toute une série de vêtements pour cette poupée pour que j'apprenne à la chérir mais rien (...)</p> - <a href="https://agesettransmissions.be/spip.php?rubrique164" rel="directory">Entre Hongrie et Belgique, un chemin d'immigration (Elisabeth H.)</a> / <a href="https://agesettransmissions.be/spip.php?mot142" rel="tag">Ecole, études</a>, <a href="https://agesettransmissions.be/spip.php?mot163" rel="tag">Solidarité</a> <img class='spip_logo spip_logo_right spip_logos' alt="" style='float:right' src='https://agesettransmissions.be/local/cache-vignettes/L109xH150/arton1135-7be53.jpg?1703617991' width='109' height='150' /> <div class='rss_chapo'><p>Ce texte fait partie du feuilleton d'Elisabeth "Entre Hongrie et Belgique, un chemin d'immigration" <a href='https://agesettransmissions.be/spip.php?rubrique164' class='spip_in'>Lire l'ensemble</a></p></div> <div class='rss_texte'><p>Trois jours après notre arrivée en Belgique, c'était Noël. Notre famille belge a tout fait pour nous rendre cette fête agréable. J'ai reçu une poupée avec de vrais cheveux mais elle n'a jamais remplacé ma poupée bébé, grandeur nature, qui était restée en Hongrie. Elle s'appelait Dodo. Plus tard maman a cousu toute une série de vêtements pour cette poupée pour que j'apprenne à la chérir mais rien n'y a fait, je ne l'ai jamais vraiment adoptée et elle ne reçut jamais de nom. Ma maman était gênée vis-à-vis de la famille qui me l'avait offerte.</p> <p>Nous habitions provisoirement dans une maison qui était destinée à la démolition. La maison qui était prévue pour nous n'allait se libérer que quelques mois plus tard. En attendant c'étaient le froid et l'humidité qui entraient par toutes les fissures mais il y avait quand même le strict nécessaire pour démarrer. Mes parents étaient étonnés de l'absence de salle de bain ; plus tard ils apprirent que la Belgique avait du retard sur la Hongrie en ce qui concernait le confort sanitaire. Même notre famille d'accueil qui était aisée n'avait de l'eau courante que dans la cuisine. Chaque chambre à coucher avait une crédence avec une bassine et une cruche assortie en porcelaine. Les lavabos n'existaient pas encore.</p> <p>La famille belge de ma tante Elisabeth possédait un grand magasin de meubles avec trois niveaux d'exposition et un coin où ils vendaient aussi des jouets. Dans un bâtiment annexe se trouvaient l'entrepôt de meubles et de jouets ainsi qu'un atelier. Plusieurs ouvriers y travaillaient et trois servantes s'occupaient du nettoyage, de la lessive et du ménage. Trois générations vivaient sous le même toit, avec en plus, ma tante. Les trois enfants de la famille se sont mariés l'un après l'autre ces années-là et ont quitté la maison. Mon père fut engagé pour le travail dans l'atelier et pour le transport des meubles ainsi que pour la conduite des trois camions de taille différente qu'ils possédaient. Il devait se rendre disponible selon les nécessités.</p> <p>Après les vacances de Noël, au mois de janvier, j'entrais dans ma nouvelle école (Grauwe Zusters Penitenten) en poursuivant ma 2ème année. J'ai le très bon souvenir que l'enseignante s'investissait pour que je m'insère au plus vite. Elle possédait un dictionnaire pour se faire comprendre. Les religieuses aussi qui tenaient l'école étaient bienveillantes envers l'unique élève étrangère que comptait leur école. Mes deux frères ont été accueillis au mois de janvier en 1ère primaire dans l'école des garçons. Ils y sont restés jusqu'aux grandes vacances. L'année d'après, ils ont refait la 5ème primaire qu'ils avaient entamée en Hongrie. Pour eux, ce changement et cette régression n'étaient pas à leur avantage.</p> <p>Quelques fois, les réfugiés hongrois des deux Flandres se rassemblaient. En y allant la première fois, mon père fut offusqué de la distribution de colis alimentaires. « Comment donc, je ne suis pas venu en Belgique pour recevoir la charité ! Je gagne ma vie et j'achète moi-même ce dont ma famille a besoin l » Il accepta néanmoins quelques jouets comme cadeaux pour les enfants. Il lui avait fallu déjà accepter le nécessaire pour redémarrer sa vie avec sa famille, c'était suffisant ! Nous n'aimions pas trop ces rencontres où chacun se plaisait à raconter son douloureux vécu.</p> <p>Comme j'étais fort chérie par ma tante et toute sa famille belge, surtout par Greta qui avait 18 ans, j'allais souvent chez eux. Leur grande maison, les salles d'expositions, l'atelier et surtout l'entrepôt des jouets devenaient mon terrain de jeu. J'avais accès et champ libre partout. J'appris vite la langue puisque toutes les personnes que j'y rencontrais m'adressaient la parole. Rapidement je lus tous les livres Spirou, Marsupilami, Tintin que je trouvais dans la maison. Le premier été, je fus également envoyée dans une colonie de vacances pour bien apprendre la langue, tandis que mes parents, avec mes frères, allaient à Bruxelles pour visiter l'expo '58.</p> <p>Assez rapidement maman a ressenti que les relations avec les deux soeurs de papa n'étaient pas aussi chaleureuses qu'avec ses propres soeurs restées en Hongrie. Papa aussi a bien compris que retrouver ses deux sœurs, après plus de 20 ans de séparation n'était pas ce qu'il avait espéré. En fait, ils ont peu vécu ensemble et sans leur mère, décédée trop jeune. Leur père n'avait pas réussi à souder la famille.<br class='autobr' /> Probablement pour mettre du baume sur la nostalgie de maman, à l'approche de notre 2ème Noël, notre grand-mère est venue nous rendre visite. Un de mes frères avait attrapé la jaunisse et était interdit d'école pendant deux ou trois mois. C'est à ce moment-là que grand-mère est venue.</p> <p>Elle m'a rapporté la grande poupée Dodo qui me manquait toujours. Cette poupée, aujourd'hui, se trouve chez moi. Je l'ai récupérée chez mes parents, après que ma nièce et mon neveu l'aient maltraitée dans leurs jeux d'enfants mais elle a survécu. La venue de grand-mère servait surtout à consoler maman qui avait le mal du pays.</p> <p>Le seul endroit où mes parents ne se sentaient pas dépaysés, c'était en allant à la messe le dimanche. C'était le temps où les messes se disaient en grégorien, il n'y fallait pas comprendre grande chose à cette époque. Ils étaient heureux de pouvoir vivre leur foi ici, en pleine liberté, et que nous, les enfants, fréquentions des écoles catholiques où la prière trouvait sa place avant les cours.</p> <p>Habiter à Poperinge devenait doucement trop lourd. Dans cette ville, il n'y avait aucune distraction. Si nous voulions faire une promenade, il n'y avait que le cimetière. Nous promener en ville attirait l'attention de tous les passants : nous étions les seuls étrangers dans cette ville et tout le monde nous connaissait et, rien que par leur regard, ils nous faisaient ressentir que nous étions différents d'eux.</p> <p>Après deux années, papa a trouvé à Anvers un autre travail. Il a loué une chambre dans la Maison Hongroise qui existait à l'époque et revenait toutes les fins de semaine avec des grosses oranges pour nous, les enfants, et des poivrons pour maman. Ces denrées alimentaires nous manquaient énormément, puisque indispensables dans toute préparation de la cuisine hongroise. Pour les grandes vacances 1950, papa a trouvé un appartement où nous avons déménagé. Nous y avons habité jusqu'à l'achat de notre maison, dix ans après.</p> <p>Papa voulut donc se détacher de notre premier enracinement belge. Le travail de transporteur de meubles ne convenait pas pour sa santé et il se sentait aussi devenir de plus en plus l'homme à tout faire de la famille. Il ne voulait pas non plus être dans l'obligation de rester redevable durant toute sa vie à ceux qui nous ont accueillis avec beaucoup de bienveillance. Ils nous ont aidés à redémarrer dans la vie, pour cela il restait reconnaissant, mais il ne voulait pas se laisser enfermer dans une non-liberté, en se mettant entièrement à la disposition de notre famille d'accueil.</p> <p>Vu son âge, déjà 45 ans, et ne connaissant pas aisément la langue, il était difficile pour papa de trouver un métier qui corresponde à sa formation. ll trouva une offre d'emploi dans un garage FIAT à Anvers, tout ce qu'il avait détesté dans sa jeunesse. Pourtant, grâce à son habileté manuelle, son savoir-faire et sa débrouillardise, il devint un ouvrier apprécié par son patron. Durant les 10 années qu'il y a travaillé, il s'est spécialisé dans la réparation, surtout des moteurs. Ensuite, ayant acheté une maison avec un grand garage, il devint son propre patron. Par ce travail bien stable, il a offert à sa famille un équilibre, une stabilité et un avenir.</p> <p><a href='https://agesettransmissions.be/spip.php?article1136' class='spip_in'>Lire la suite</a><br class='autobr' /> </p></div> Mon pays, ma patrie (Elisabeth) https://agesettransmissions.be/spip.php?article1136 https://agesettransmissions.be/spip.php?article1136 2017-09-05T12:23:21Z text/html fr Sylvie (A&T) Religion, valeurs et éthique Solidarité <p>Ce texte fait partie du feuilleton d'Elisabeth "Entre Hongrie et Belgique, un chemin d'immigration" Lire l'ensemble <br class='autobr' /> En déménageant à Anvers, mon enfance insouciante est restée à Poperinge. Je l'ai retrouvée encore quelques fois en retournant en vacances chez ma tante. <br class='autobr' /> Papa avait trouvé pour moi une école francophone, se disant qu'avec le français, j'irais plus loin qu'avec le néerlandais. Le temps d'affronter des difficultés commençait pour moi. Pour m'encourager, il s'inscrivit lui-même en cours du soir (...)</p> - <a href="https://agesettransmissions.be/spip.php?rubrique164" rel="directory">Entre Hongrie et Belgique, un chemin d'immigration (Elisabeth H.)</a> / <a href="https://agesettransmissions.be/spip.php?mot160" rel="tag">Religion, valeurs et éthique</a>, <a href="https://agesettransmissions.be/spip.php?mot163" rel="tag">Solidarité</a> <img class='spip_logo spip_logo_right spip_logos' alt="" style='float:right' src='https://agesettransmissions.be/local/cache-vignettes/L109xH150/arton1136-e9aa4.jpg?1703435843' width='109' height='150' /> <div class='rss_chapo'><p>Ce texte fait partie du feuilleton d'Elisabeth "Entre Hongrie et Belgique, un chemin d'immigration" <a href='https://agesettransmissions.be/spip.php?rubrique164' class='spip_in'>Lire l'ensemble</a></p></div> <div class='rss_texte'><p>En déménageant à Anvers, mon enfance insouciante est restée à Poperinge. Je l'ai retrouvée encore quelques fois en retournant en vacances chez ma tante.</p> <p>Papa avait trouvé pour moi une école francophone, se disant qu'avec le français, j'irais plus loin qu'avec le néerlandais. Le temps d'affronter des difficultés commençait pour moi. Pour m'encourager, il s'inscrivit lui-même en cours du soir pour apprendre le français et souvent je l'accompagnais. A cette époque, il ne connaissait pas encore bien les questions linguistiques de pays d'accueil. Le nouveau pacte scolaire de 1960 stipulait que chaque région ne devait avoir que des écoles dans sa langue respective.</p> <p>L'école où il m'inscrivit était une école privée fréquentée surtout par des enfants de diplomates. ll y avait une classe unique prévue pour tous les élèves en apprentissage du français. Seulement après la connaissance suffisante de la langue, nous pouvions retrouver notre classe respective. A peine le néerlandais bien appris, me voilà à recommencer dans une nouvelle langue.</p> <p>Cette fois-ci, je n'ai plus retrouvé la bienveillance à mon égard et je ne trouvais pas bien ma place dans cette école où les élèves étaient de confessions et d'origines différentes. Le cours de religion regroupait en une seule classe les élèves de différents niveaux. Je me souviens douloureusement qu'un jour, à mon retour de celui-ci, la titulaire de ma classe d'accueil me confisqua tout un paquet d'images pieuses, reçues juste auparavant, et qu'elle le jeta dans la poubelle. Ce geste m'avait bouleversée.</p> <p>Après deux années plus un trimestre, je suis retournée dans une école néerlandophone pour ne pas prendre encore plus de retard dans ma scolarité. Ce changement, en cours d'année déjà entamée, me coûta une année de retard : je changeais de section Moderne vers la section Latin-Grec. Tout au long de mes années d'humanités, je me suis sentie en décalage de deux années avec mes compagnes de classe, puisque née au mois de décembre, je suis entrée en première année primaire à 7 ans.</p> <p>Huit années après notre arrivée en Belgique, comme tous les autres Hongrois, nous avons fait la demande pour être naturalisés belges. A cette époque, la procédure durait deux années. Ayant obtenu sans problème les documents, nous avons commencé à retourner en Hongrie pour les vacances. J'avais 18 ans quand j'ai revu le pays de mon enfance et la famille hongroise qui s'était agrandie depuis les 10 dernières années.</p> <p>Mes deux frères qui avaient tout juste 21 ans, donc majeurs, ont remis à plus tard l'acceptation de la naturalisation, ne voulant pas faire de service militaire. Ils sont restés des 'étrangers' plus longtemps, ce qui n'était à leur avantage lors des demandes d'embauche. Ils sont devenus belges autour de leurs 27 ans en payant les frais administratifs. Ensuite, eux aussi ont commencé à redécouvrir le pays que nous avions quitté. Chacun y retournait à son propre rythme. Mais jamais plus nous ne nous y sommes retrouvés tous ensemble.</p> <p>Mes parents étaient-ils heureux d'être venus en Belgique ?</p> <p>Papa n'aurait jamais avoué le contraire. ll se sentait surtout libre de gérer sa vie et celle de sa famille comme il l'entendait. Maman a toujours gardé la nostalgie. Elle est toujours restée femme au foyer. En Hongrie, avant son mariage, elle gagnait sa vie et aidait sa mère veuve avec trois enfants, en travaillant comme couturière indépendante. Pour apprendre la langue, elle a essayé de travailler dans un atelier de couture à Anvers. Les jeunes filles avec qui elle travaillait, au lieu de l'aider dans l'apprentissage de la langue, se sont tellement moquées d'elle qu'elle n'a pas tenu bien longtemps. Sur ce point, papa trouvait plus important que les trois enfants aient une maman qui prenne soin d'eux plutôt qu'une maman qui aurait pu devenir une malade nerveuse dans un milieu hostile. Ainsi, maman n'a jamais vraiment appris la langue du pays. Plus tard, avec ma belle-sœur belge et les deux petits-enfants qui sont venus très souvent à la maison, elle a quand même appris les rudiments du néerlandais.</p> <p>Les années ont passé, nos parents ont sacrifié leur vie pour que nous, les enfants, nous puissions bien nous intégrer dans notre nouveau pays. Notre avenir a pris forme. Avec le temps, malgré sa nostalgie permanente, même maman avait compris que sa place était près de ses enfants et petits-enfants. Sa belle-fille flamande, qui avait bien adopté toute notre famille hongroise, y a certainement contribué activement. Mon frère et ma belle-soeur sont allés tous les deux ans en Hongrie pour leurs vacances avec leurs deux enfants. Maintenant que ces enfants sont devenus adultes, ma nièce avec son mari et leurs deux enfants respectifs continuent eux aussi ce rythme de vacances en Hongrie tous les deux ans.</p> <p>Jamais nous n'avons envisagé un seul instant retourner définitivement en Hongrie. La Belgique est devenue entièrement notre pays.</p> <p>Une fois les parents décédés ainsi que tous ceux qui nous ont connus comme enfants en Hongrie, les liens se sont écartés pour moi de plus en plus. En ce qui me concerne, j'y vais de moins en moins. C'est ici que j'ai tissé ma vie et je ne connais aucune nostalgie ou attirance majeure. Je ne le nie pas, quand je revois encore des membres de ma famille en Hongrie, je me sens tout à fait bien avec eux et ils nous font à chaque fois toujours la fête. Pourtant, une fois en dehors de ma vision, je les sens loin de ce qu'est devenue ma vie. Quand je reviens, après avoir passé des vacances là-bas, je sens bien qu'ici nous vivons d'autres valeurs, nous avons d'autres centres d'intérêt.</p> <p>Il faut savoir choisir clans la vie, une fois le choix fait, ne plus regarder en arrière. On ne peut vivre ici et ailleurs en même temps et nous n'avons qu'une seule vie à vivre. Notre avenir est devant nous.</p> <p>Souvent les hommes se rendent mutuellement la vie impossible. Des pays se font la guerre et certains sont contraints à faire des choix, en âme et en conscience, auparavant non envisagés. Mes parents ont fait leur choix avec des conséquences difficiles pour eux et pour leurs enfants aussi. Voilà que le rideau de fer et le mur de Berlin sont tombés, mais l'histoire se répète et la bêtise humaine ne tonnait pas de fin : d'autres murs s'érigent… Les réfugiés ne sont pas les bienvenus. Il nous sera toujours offert des occasions pour grandir en humanité en reconnaissant l'autre qui est différent comme un frère. Peut-être a-t-il aussi besoin de mon aide et de ma bienveillance ?</p> <p>Seule l'histoire nous dira où va notre planète avec ces brassages de populations. Moi, j'ai donné ma réponse : toute personne humaine a une valeur sacrée, cela personne ne peut le lui enlever. Nous sommes tous des frères et soeurs en humanité. Pour apprendre à gérer notre terre et la vie des hommes, apprenons à vivre dans un esprit honnête et fraternel. Que nous vivions dans un pays ou dans un autre, pour Dieu, cela n'a pas d'importance.</p> <p>La Belgique n'a pas été le paradis rêvé pour mes parents. Leur choix et leurs sacrifices m'ont permis de devenir celle que je suis aujourd'hui et cela est énorme. Jamais là-bas je n'aurais pu faire le choix de vie que j'ai fait ici. C'est la foi qui m'a ouvert la porte du bonheur. La bienveillance de mes parents et de mon entourage m'y ont aidée. De patrie, je n'en ai qu'une seule et je vis déjà dedans : c'est le Royaume de Dieu. Cette découverte c'est la Belgique qui m'a permis de le faire.</p> <p>Pour bien construire son avenir, je pense qu'il est bon de se remémorer les bienfaits dont nous avons été bénéficiaires. Il n'est pas bon pourtant de s'éterniser sur le passé c'est l'avenir qui est devant nous. Cet avenir je peux le recevoir comme un don, grâce à l'intervention de tous les intervenants du passé et ceux d'aujourd'hui. Parmi eux, Dieu s'est toujours déclaré 'présent' C'est une autre manière de lire sa propre histoire et celle de sa famille, si le coeur vous en dit, essayez.</p> <p><a href='https://agesettransmissions.be/spip.php?article1137' class='spip_in'>Lire la suite</a></p></div> Etre implantée quelque part (Elisabeth) https://agesettransmissions.be/spip.php?article1137 https://agesettransmissions.be/spip.php?article1137 2017-09-05T12:23:18Z text/html fr Sylvie (A&T) Amour, mariage, divorce Religion, valeurs et éthique <p>Ce texte fait partie du feuilleton d'Elisabeth "Entre Hongrie et Belgique, un chemin d'immigration" Lire l'ensemble <br class='autobr' /> Vers la fin du mois d'octobre 2016, une petite dame de 89 ans que j'ai appris à connaître il y a deux ans me téléphone. Elle me demande de l'accompagner à la Maison Hongroise où allait avoir lieu une séance académique à l'occasion des commémorations des 60 ans de la révolution d'octobre 1956. Beaucoup plus par esprit de serviabilité que par conviction personnelle, nous nous y sommes rendues. (...)</p> - <a href="https://agesettransmissions.be/spip.php?rubrique164" rel="directory">Entre Hongrie et Belgique, un chemin d'immigration (Elisabeth H.)</a> / <a href="https://agesettransmissions.be/spip.php?mot135" rel="tag">Amour, mariage, divorce</a>, <a href="https://agesettransmissions.be/spip.php?mot160" rel="tag">Religion, valeurs et éthique</a> <img class='spip_logo spip_logo_right spip_logos' alt="" style='float:right' src='https://agesettransmissions.be/local/cache-vignettes/L150xH113/arton1137-d94d5.jpg?1703617991' width='150' height='113' /> <div class='rss_chapo'><p>Ce texte fait partie du feuilleton d'Elisabeth "Entre Hongrie et Belgique, un chemin d'immigration" <a href='https://agesettransmissions.be/spip.php?rubrique164' class='spip_in'>Lire l'ensemble</a></p></div> <div class='rss_texte'><p>Vers la fin du mois d'octobre 2016, une petite dame de 89 ans que j'ai appris à connaître il y a deux ans me téléphone. Elle me demande de l'accompagner à la Maison Hongroise où allait avoir lieu une séance académique à l'occasion des commémorations des 60 ans de la révolution d'octobre 1956. Beaucoup plus par esprit de serviabilité que par conviction personnelle, nous nous y sommes rendues.</p> <p>Par la suite, j'appris que toute une série de manifestations allaient avoir lieu ce week-end du 22-23 octobre conférences, témoignages, festivités à l'esplanade du Cinquantenaire, messe à la Cathédrale, suivie d'une procession de lumières jusqu'à la Colonne du Congrès, concert dans la grande salle de Flagey, et la sortie d'un livre avec les témoignages des Hongrois arrivés en Belgique il y a 60 ans. Je me suis donc plongée durant ce week-end dans mes racines pour expérimenter ce que j'allais ressentir.</p> <p>C'est vrai, c'était bien agréable de savoir que j'avais ma place quelque part dans tout cela, que je pouvais tout comprendre, participer activement aux chants, à la prière...</p> <p>J'ai rafraichi un peu ma connaissance historique des faits :</p> <ul class="spip"><li> la résistance en octobre '56 avait duré 20 jours ;</li><li> 33 années d'oppression ont suivi jusqu'à la chute du mur de Berlin en 1989 ;</li><li> 200.000 à 300.000 hongrois se sont dispersés dans tous les pays du monde ;</li><li> dont 2.000 à 3.000 en Belgique en un premier moment. D'autres ont suivi après.</li></ul> <p>A part cela, ayant côtoyé un millier de personnes durant ce week-end, je n'ai pas trouvé plus que cinq visages connus mais j'ai essayé d'entrer en contact avec quelques inconnus.</p> <p>Qu'est ce qui me lie encore à cette communauté hongroise à part la langue et une même origine ?</p> <p>Certainement pas un nationalisme qui par moment essaye de prendre le dessus. Notre vécu est si différent les uns des autres : les Hongrois de '56 et les autres, ceux que l'on appelle 'les nouveaux Hongrois de l'Europe' qui ont un pied en Belgique et un autre pied dans leur pays. Il y a ceux qui ont payé leur liberté en acceptant le déracinement de leur pays, les nouveaux arrivés d'aujourd'hui qui sont à la recherche d'une aisance économique et d'autres qui deviennent les nouveaux riches...</p> <p>L'abolition des frontières est une chose, vivre les uns avec les autres dans une même entente et le respect en est une autre. Des différences et des ressemblances, je peux en trouver dans chaque personne que je rencontre. L'approche et l'unité que je recherche avec l'autre, je dois d'abord les chercher et essayer de les vivre en moi-même.</p> <p>Bien assumer ses racines est une réalité à construire, un défi à relever. Une plongée démesurée vers ses racines peut signifier que l'on est toujours à la recherche de l'unité de sa personne. La nostalgie empêche de vivre le quotidien que la vie impose ou propose. Le déni de ses origines n'est qu'un camouflage de la vérité sans laquelle une vie sereine est impossible.</p> <p>Avoir aussi d'autres racines est une richesse que rien ni personne ne nous enlèvera. Elle nous donne une ouverture d'esprit avec la possibilité d'intégrer en nous toutes les différences. Vivre ici, tout en venant d'ailleurs, est aussi un atout pour voir clair et pour se distancier quand un nationalisme mal placé veut prendre le dessus.</p> <p>Il est bon de savoir que nous avons des origines implantées quelque part mais il est surtout important de savoir qu'avant toute chose, la plupart d'entre nous ont été implantés sous le coeur protecteur d'une maman, fruit d'un acte d'amour de deux êtres humains. Parfois ce premier implant fait défaut. Mais, même si les enfants dont la vie est accompagnée par l'amour de leurs parents ont une longueur d'avance, la vie est assez longue pour que chacun découvre que l'amour existe vraiment. Nous ne sommes pas égaux devant la vie et quelle que soit notre origine en venant au monde, se construire est la mission de tous et de chacun.</p> <p>Toute vie se déroule sous la pluie et le soleil, et les couleurs de l'arc-en-ciel sont les mêmes pour chacun de nous : le violet, l'indigo, le bleu pastel, le vert, le jaune-or, l'orange, le rouge, ces couleurs nous les retrouvons dans notre vécu. L'arc-en-ciel symbolise que le ciel et la terre sont reliés par un anneau de fiançailles qu'il nous est proposé d'accepter ou pas. Etre enraciné dans une terre est important, être relié par cet anneau de fiançailles est autrement important.</p> <p>Avant de découvrir que j'étais enracinée puis déracinée de mon pays, j'ai découvert que j'étais enracinée dans l'amour de mes parents qui ont tenu bon, à travers tous les orages de leur vie, parce qu'ils étaient eux-mêmes enracinés dans un amour plus grand qui précédait leur capacité d'aimer. Depuis, j'ai assumé mes origines.</p> <p>Je sais qu'il y a un Dieu bienveillant pour chacun de nous, qu'on le sache ou pas. Cet amour nous précède peu importe où mène notre vie. La découverte de cet amour m'a permis de vivre ma vie dans la recherche de la hauteur, la profondeur, la largeur et le tout, sans frontières.</p> <p>Puisque je ne peux vivre ma vie d'une manière désincarnée, je vis ma vie ici et maintenant. L'horloge du temps ne peut être tournée en arrière donc, je garde mon regard fixé vers l'avant.<br class='autobr' /> Rester toujours attentive au rythme que la vie me donne.<br class='autobr' /> Veiller à ne pas se laisser emporter par des vagues trop fortes.<br class='autobr' /> Garder jalousement l'unité et la sérénité acquises tout au long des années.<br class='autobr' /> Partager ce qui peut être avec celui ou celle qui cherche aussi des contacts dans un partage réciproque.<br class='autobr' /> Voilà comment j'envisage mon avenir.</p> <p>Un plus un font un (1+1=1). Une racine, plus une deuxième racine n'en font pas deux, mais font l'originalité de quelque chose de nouveau qui s'inscrit déjà dans l'éternité...<br class='autobr' /> A chacun sa route, à chacun son chemin.</p></div> La libération : 3 septembre 1944 (Adrien) https://agesettransmissions.be/spip.php?article475 https://agesettransmissions.be/spip.php?article475 2016-09-02T07:43:10Z text/html fr Souris verte Guerre 40-45 <p>3 septembre 1944, Enghien <br class='autobr' /> Il y a peu de monde à la messe ce dimanche matin Le capucin de service ne semble pas avoir le cœur à son ouvrage d'officiant. Les fidèles parlent entre eux presque à voix haute. Je perçois des bribes de leurs conversation : « Radio Londres a annoncé hier soir que les troupes américaines sont entrées en Belgique », « Arras a été libérée avant-hier », « Ils vont certainement arriver aujourd'hui », « Un drapeau belge a été planté cette nuit sur la tour de la grande église ». <br class='autobr' /> L'espoir (...)</p> - <a href="https://agesettransmissions.be/spip.php?rubrique80" rel="directory">La libération (Adrien)</a> / <a href="https://agesettransmissions.be/spip.php?mot191" rel="tag">Guerre 40-45</a> <img class='spip_logo spip_logo_right spip_logos' alt="" style='float:right' src='https://agesettransmissions.be/local/cache-vignettes/L143xH150/arton475-be5b3.jpg?1703440540' width='143' height='150' /> <div class='rss_texte'><p><strong>3 septembre 1944, Enghien</p> <p></strong>Il y a peu de monde à la messe ce dimanche matin Le capucin de service ne semble pas avoir le cœur à son ouvrage d'officiant. Les fidèles parlent entre eux presque à voix haute. Je perçois des bribes de leurs conversation : « Radio Londres a annoncé hier soir que les troupes américaines sont entrées en Belgique », « Arras a été libérée avant-hier », « Ils vont certainement arriver aujourd'hui », « Un drapeau belge a été planté cette nuit sur la tour de la grande église ». <br /></p> <p>L'espoir est palpable. Le bonheur qui en est le corollaire déride tous les visages et y dessine des amorces de sourires.<br /></p> <p>« Ite missa est ». Le « Deo gratias » qui suit se perd dans le brouhaha provoqué par la sortie précipitée des ouailles que Dieu a dû trouver bien tièdes en cette belle matinée de septembre.<br /></p> <p>Mon père n'arrête pas de tousser, nerveusement. Une inquiétude perce la cuirasse de sa joie. Probablement la crainte de violents combats ou de bombardements imminents.<br /></p> <p>Pour rentrer à la maison nous devons traverser une rue qu'encombre une pitoyable soldatesque à l'uniforme vert de gris. Les militaires progressent en deux files. La première comporte des véhicules hippomobiles et des soldats se mouvant à pied dans le désordre le plus complet. La deuxième se compose de camions, motos, camionnettes, autochenilles, chars et canons tractés. Le convoi fortement camouflé de branchages fait songer à une forêt en marche. Le défilé se poursuit jour et nuit depuis près d'une semaine. Les fuyards abrutis par la fatigue avancent comme des automates, le regard vide de toute expression. Est-ce là tout ce qui reste de cette fière armée conquérante de mai 1940 ? Le soleil éclatant et le ciel profondément bleu sont les seuls points communs entre les journées d'invasion et ce dimanche de débâcle.<br /></p> <p>Arrivé à la maison, mon père déplace le couvercle en béton d'une citerne extérieure laquelle, vidée de ses eaux, nous a servi d'abri lors d'alertes aériennes. J'aime descendre dans ce lieu, me fondre dans sa pénombre, savourer sa fraîcheur et lancer des petits cris que l'écho fait rebondir sur les parois cimentées</p> <p>Il est l'heure de la sieste, mais elle ne sera pas respectée aujourd'hui. <br /> Tous les habitants du quartier postés sur le pas de leur porte s'interpellent et se communiquent des nouvelles qui, pour la plupart, s'apparentent plutôt à des rumeurs. Des tirs provenant de l'extérieur de la ville arrêtent net les conversations. Soudain un avion de chasse anglais nous survole à basse altitude. Au ronronnement assourdissant de son puissant moteur suivent des détonations de mitrailleuses et des explosions successives. Les commentaires vont bon train. Le combat doit se dérouler dans les environs du cimetière. La mitraillade se renouvelle à plusieurs reprises. Très peu de temps après l'avion passe à nouveau, en sens inverse, presque à la hauteur des toits. Un peu plus tard, une nouvelle rumeur prend corps, une colonne blindée allemand aurait été anéantie au lieu-dit « Le Patriote ». Un cycliste apparaît, la chemise trempée de transpiration. Il confirme le massacre dont il se dit avoir été le témoin. Il prétend aussi que les Allemands ont fusillé un groupe de résistants. Et les rumeurs se transforment en nouvelles.<br /></p> <p>La joie se mêle à la tristesse, l'espoir à la crainte. De l'excitation rehaussée d'appréhension naissent des éclats de rires nerveux.<br /></p> <p>Sur la façade d'une maison de la rue vient d'être hissé un grand drapeau belge. La demeure est occupée par un collaborateur notoire. A la stupeur et la consternation provoquées par ce revirement grotesque suit une bienfaisante hilarité.<br /></p> <p>Une demi heure plus tard, une jeune femme déboule dans la rue et la voix vibrante d'émotion s'écrie : « Les Anglais sont là ! Ils sont à la rue de Bruxelles ! ».<br /></p> <p>A quoi peuvent bien ressembler ces dieux que la propagande nazie ne nous a montrés que morts ou prisonniers ?<br /> Les gens du quartier se hâtent vers la rue de Bruxelles, située à moins de cent mètres de chez moi.<br /> Le bruit d'une fusillade nourrie stoppe net la ruée. Encore quelques coups de feu suivis d'un silence intriguant. Le courant s'inverse, tout le monde se précipite vers son domicile et s'y calfeutre.<br /> Mon père et moi regardons dans la rue par le châssis grillagé de la porte du magasin. Un soldat allemand tourne le coin de la rue qui relie la mienne à la rue de Bruxelles. Il boite, titube, se rattrape aux portes des maisons, s'appuie sur les façades. Il s'assied sur le perron en pierre bleue de la maison située en face de notre poste d'observation. Avec lenteur il replie son pied gauche et en entoure la cheville de ses deux mains. Une auréole sanglante colore son bas, une balle a fracassé son pied. Il lève plusieurs fois la tête au ciel comme pour en implorer une aide et pousse des râles à plusieurs reprises. Inquiet, il tourne la tête sans arrêt scrutant les deux côtés de la rue d'où pourrait surgir un nouveau danger. Un képi à longue visière lui confère encore une allure agressive et cela en dépit de son état et l'absence d'armement.<br /></p> <p>Un martèlement de bottes prend naissance au coin de la rue, s'amplifie et s'approche. Trois résistants en uniforme de toile beige viennent se placer face au blessé et braquent sur lui une mitraillette Sten.<br /> Après un bref conciliabule et une fouille rapide, deux d'entre eux relèvent le misérable éclopé, l'entourent et placent ses bras sur leurs épaules. Les quatre hommes s'éloignent à grands pas. La jambe inerte du blessé rebondit sur les pavés dans un raclement de crécelle. Un quart d'heure plus tard, vers 16H30, mes parents, quelques voisins et moi reprenons le chemin de la rue de Bruxelles. Dans une rue adjacente, une femme jette des seaux d'eau sur une énorme flaque de sang étalée sur un trottoir et balaie le liquide rosâtre dans le caniveau. Elle nous explique qu'un militaire allemand s'est traîné sur une cinquantaine de mètres pour venir succomber devant sa porte. Elle ne cesse de se lamenter sur le sort affreux de ce très jeune soldat dont elle a entendu les dernières cris et râles. Elle ajoute qu'il faisait partie d'une équipée de militaires fuyant à bord d'une voiture particulière. Débouchant dans la rue de Bruxelles, ils se sont retrouvés face à un char anglais arrêté vers lequel s'avançaient des civils en joie.<br /></p> <p>Il s'en suivit un combat rapide et inégal. Une mitrailleuse du char perça la voiture d'une multitude de projectiles, y semant la mort et la désolation. Un seul occupant se rendit, indemne. Les autres furent tués ou blessés. L'éclopé de ma rue faisait partie de ces fuyards.<br /></p> <p>Nous atteignons le convoi des libérateurs. Le bonheur que j'ai ressenti à ce moment s'est greffé à tout jamais dans la mémoire de mon cœur.<br /> La foule entoure les chars et les jeeps à l'arrêt. Elle veut toucher le matériel arborant une étoile blanche à cinq branches comme pour se persuader qu'elle ne rêve pas, que le cauchemar se termine. Des soldats se penchent, acceptent en souriant les fleurs que leurs tendent des mains frénétiques. Des hommes et des femmes se hissent sur les chars et se glissent dans les jeeps et les chenillettes. Des jeunes filles embrassent leurs libérateurs qui leur rendent leurs baiser avec une innocence toute feinte. Aux cris d'allégresse se mêlent les pleurs des plus émus.<br /></p> <p>Mais les militaires alliés doivent reprendre la route. Les moteurs démarrent dans un nuage bleuté de gaz d'échappement.<br /> Et défilent sans fin les véhicules salués par des centaines de mains. Le crissement des chenilles sur les pavés fait vibrer les vitres des maisons et frémir mes entrailles. Quatre années de souffrances, de faim, de peur, d'humiliations, s'estompent dans les hurlements de joie que ne parvient pas à surmonter le rugissement du charroi guerrier. <br /></p> <p>La voiture allemande mitraillée a été poussée dans une rue adjacente. Les impacts des balles ne peuvent se compter. La plupart des objets qu'elle contenait ont été enlevés par les habitants. Seuls y traînent encore quelques vêtements souillés de sang.<br /> Une foule en liesse remplit les rues de la ville. Beaucoup de gens s'embrassent, rient, laissent éclater leur bonheur avec une exaltation proche du délire.<br /></p> <p>Sur le balcon de l'hôtel de ville quatre femmes tondues font face aux passants. L'une d'elle pleure à chaudes larmes. Des insultes et quolibets scabreux fusent de toute part. La vue de femmes chauves me stupéfie et me heurte, je ne pouvais m'imaginer une femme tondue. Ma mère m'explique qu'elles se sont mal conduites avec des Allemands. Certaines en ont même épousés.<br /></p> <p>Attroupement étrange sur la grande place, en face de la maison communale et le long de l'église. Une cinquantaine de soldats à l'uniforme inconnu conversent dans une langue baroque. On nous apprend que ce sont des prisonniers russes que les Allemands employaient dans un dépôt de munition établi au Bois de Strioux. L'occupant l'a fait sauter il y a quelques jours. Les Russes aimeraient qu'on les prenne en charge et qu'on les rapatrie rapidement. Mais personne ne semble se soucier d'eux.<br /></p> <p>Plus loin, sur le perron d'une maison patricienne, un coiffeur s'affaire à tondre la tête d'une femme. Cinq autres, sur le trottoir, attendent leur tour, certaines avec résignation. L'une d'elle est vêtue d'une simple combinaison. Deux autres, parmi les plus jeunes, pleurent en se tenant par la main. Des sœurs probablement. Des injures et quelques rires gras s'élèvent de la foule : « Salopes ! Putains ! ». La plupart des spectateurs demeurent cependant silencieux. Une grande tristesse m'envahit. Leur crime a-t-il donc été si grave pour provoquer un tel châtiment, de telles humiliations ? La fille en combinaison me fait penser à ma sœur lorsqu'elle se déshabillait le soir dans notre chambre commune. Au moment où elle ôtait ce sous-vêtement, je devais tourner mon regard vers le mur. Le bruissement soyeux des dessous enflammait mon imagination de gamin et éveillait d'imprécises envies à l'érotisme inconscient.<br /> Deux femmes arborent un crâne totalement chauve. L'impitoyable tondeuse poursuit sa sinistre tâche et se faufile dans la permanente d'une fille blonde. Elle alimente par une intermittente cascade de cheveux une mer ondoyante de mèches de tons divers étalées sur le perron.<br /> Mes parents m'éloignent de ce navrant spectacle qu'ils ne semblent d'ailleurs pas approuver.<br /></p> <p>Des soldats de l'armée secrète appelée aussi Armée Blanche par opposition aux uniformes noirs des volontaires belges enrôlés dans l'armée nazie, encadrent un groupe de civils en marche. Tous portent une valise ou un baluchon. Ces hommes sont d'anciens collaborateurs avec l'ennemi. Des poings se lèvent vers eux, des invectives fusent de partout.<br /> La ville entière se retrouve dans la rue. Pas un seul Enghiennois n'est demeuré chez lui. Chacun savoure la liberté retrouvée. Terminés les contrôles d'identité, les rafles, la censure des médias, la propagande agressive, les dénonciations vraies ou fausses, l'autocensure du verbe et de l'écriture, les fouilles corporelles et des bagages avec des armes pointées vers soi, le mépris de l'occupant, les prises et exécutions d'otages, la bassesse des collaborateurs et autres traîtres, l'éducation tronquée, la haine des Juifs, la Gestapo, la torture, la clandestinité, le camp de Breendonk, l'appréhension du jour même et du lendemain. Bref, c'est le retour à une vie décente dont l'épanouissement va pouvoir se développer dans le cadre de la démocratie renaissante. Le soulagement est immense, l'espoir proche de la paix.</p> <p>(à suivre : <a href='https://agesettransmissions.be/spip.php?article476' class='spip_in'>La libération : 4 septembre 44</a>)</p></div> La libération : 4 septembre 1944 (Adrien) https://agesettransmissions.be/spip.php?article476 https://agesettransmissions.be/spip.php?article476 2016-09-02T07:43:08Z text/html fr Souris verte Guerre 40-45 <p>(lire le début de l'article : La libération 3 septembre 44) <br class='autobr' /> Lundi 4 septembre, Enghien <br class='autobr' /> Accompagné de mon neveu Joseph, je parcours les rues de la ville. Des interminables convois alliés traversent la cité en direction de Bruxelles dont l'avant-garde des troupes anglaises a atteint les portes hier soir. <br class='autobr' /> Fabriqués à la hâte, de nombreux drapeaux belges, américains, anglais, français et russes font éclater leurs couleurs vives sur les façades des maisons, joyeux bariolages qui ajoutent encore à (...)</p> - <a href="https://agesettransmissions.be/spip.php?rubrique80" rel="directory">La libération (Adrien)</a> / <a href="https://agesettransmissions.be/spip.php?mot191" rel="tag">Guerre 40-45</a> <img class='spip_logo spip_logo_right spip_logos' alt="" style='float:right' src='https://agesettransmissions.be/local/cache-vignettes/L143xH150/arton476-9cda6.jpg?1703440540' width='143' height='150' /> <div class='rss_texte'><p>(lire le début de l'article : <a href='https://agesettransmissions.be/spip.php?article475' class='spip_in'>La libération 3 septembre 44</a>)</p> <p> <strong></p> <p>Lundi 4 septembre, Enghien</p> <p></strong>Accompagné de mon neveu Joseph, je parcours les rues de la ville. Des interminables convois alliés traversent la cité en direction de Bruxelles dont l'avant-garde des troupes anglaises a atteint les portes hier soir.<br /></p> <p>Fabriqués à la hâte, de nombreux drapeaux belges, américains, anglais, français et russes font éclater leurs couleurs vives sur les façades des maisons, joyeux bariolages qui ajoutent encore à l'atmosphère ambiante de fête.<br /> Le ciel bleu arbore toujours un soleil éclatant.<br /> Joseph et moi faisons le point de tous les récits qui nous sont parvenus.<br /></p> <p>Hier matin, les Allemands au cours de leur débâcle ont abattu un cheval épuisé sur une place de la ville. De nombreuses personnes se sont ruées sur la bête et se sont livrées à son équarrissage avec des moyens de fortune. Des ménagères sont rentrées chez elles, le cabas rempli, les mains couvertes de sang.<br /> Plusieurs combats violents se sont déroulés entre les militaires allemands et l'Armée Blanche. Toutes les victimes belges ne seraient pas des partisans. Un groupe d'hommes surpris par les SS à piller des chevaux et du matériel militaire a été exécuté sur la place de leur délit.<br /> Mais pour les Enghiennois aucune distinction ne sera faite entre les héros et les autres. En effet, est-ce un forfait que de délester l'ennemi de ses biens ? Une aura patriotique enveloppe déjà toutes les actions qui ont été entreprises envers l'adversaire. Et puis, la conscience ne s'accommode-t-elle pas toujours de transgressions qu'elle relègue avec facilité au rayon des fautes vénielles ?<br /></p> <p>A Labliau, Gerald Sorensen, un aviateur américain recueilli par une famille belge avait rejoint la résistance locale, le maquis de Saint Marcoult. Son avion, une forteresse volante B17 dont il était le mitrailleur de queue, avait été abattu en mai 1944 près d'Enghien. Il a été tué hier, au combat, avec huit de ses récents compagnons d'armes dont le fils de sa famille d'accueil. Le maquis de Saint-Marcoult s'est vaillamment illustré dans plusieurs engagements avec l'ennemi. Ces résistants ont fait prisonniers environ 1750 soldats allemands.<br /></p> <p>Mon beau-frère Charles, à l'insu de toute sa famille et de son épouse, faisait partie de l'armée secrète. Hier après-midi il a fait le coup de feu sur les Allemands dans les environs de Rebecq. Il accompagnait des artilleurs anglais. Deux chars allemands ont été mis hors de combat. Bricoleur de génie, Charles, à l'aide d'un tournevis improvisé, a enlevé le périscope d'un des chars. Il reste très discret sur ses activités de soldat de l'ombre. Ma sœur nous a raconté qu'il possédait un pistolet américain parachuté avec d'autres armes et munitions par une nuit claire, près de Saint-Marcoult. Il possède également un ceinturon ayant appartenu à un soldat de la Croix-Rouge allemande. Pendant toute la durée de la guerre, il a tenu secret le fait qu'il avait abattu un soldat allemand en 1940. Il en a parlé hier, tout en restant discret sur les circonstances de cet acte. A-t-il tué d'autres ennemis ? Il n'a pas été possible de le savoir.</p> <p>La Brigade Piron a passé la nuit à Enghien. Leur accueil par la population tenait du délire. <br /> Des tentes militaires parsèment le parc communal ainsi que le grand parc, propriété du baron Empain. Devant la stèle du monument aux morts de la guerre 14-18, à l'entrée du premier parc, la Wehrmacht a abandonné un nebelwerfer, textuellement lanceur de brouillard. Il s'agit d'un canon à six fûts disposés en cercle. L'engin est capable de lancer en quelques secondes six roquettes de gros calibre sur une cible distante de six mille mètres. Les Russes l'appellent « orgues de Staline ». Avec d'autres enfants nous essayons de déplacer la pièce d'artillerie. Un soldat anglais sorti d'on ne sait où nous fait signe de nous éloigner de cette arme redoutable. Nous l'abandonnons à regret et essayons de pénétrer dans le grand parc mais là également une sentinelle, par des gestes significatifs, nous ordonne de prendre le large. <br /> Dépités, Joseph et moi décidons de nous rendre au lieu-dit Le Patriote. Comme un cycliste nous l'avait signalé hier, de rudes combats s'y sont déroulés et une colonne allemande y a été totalement décimée par un avion allié, celui qui nous a survolés.</p> <p>Le cimetière communal se trouve sur notre chemin. Une grande animation règne à son entrée. Nous en demandons la cause au gardien des lieux. Il nous explique qu'on creuse une grande fosse commune pour y ensevelir tous les soldats germaniques tués au cours des combats d'hier. Il rejette avec vigueur notre demande d'assister à l'inhumation. « Ce n'est pas un spectacle pour les enfants ! ». Décidément, la journée s'annonce « enfants non admis ».<br /></p> <p>Au Patriote, l'Apocalypse semble avoir envoyé ses quatre cavaliers exterminateurs. La scène qui s'étale devant nos yeux nous effare autant qu'elle nous émerveille. Un grand nombre de chenillettes et de camions allemands, la plupart carbonisés, jonchent les abords de la route. Un impressionnant canon comme ceux que j'ai vu aux actualités, criblé d'impacts, pointe son fût vers le ciel. Et là, par bonheur, aucun adulte pour nous interdire l'accès au matériel militaire dévasté. Avec d'autres enfants, nous nous précipitons sur ce champ de bataille grandeur nature et nous y livrons au simulacre ludique de la guerre. Je me suis réfugié dans une chenillette. Un genou posé dans des décombres carbonisés, partiellement caché par les flancs rehaussés de l'engin, je lance des séries de tacatac et de pan pan vers mes ennemis. Ils se sont réfugiés dans d'autres véhicules ou derrière le canon. Réaliser que de nombreux soldats ont été tués ou blessés hier à cet endroit et peut-être même dans ce char décuple mon plaisir. Mais la petite guerre prend fin non pas faute de combattants mais faute de victimes. Personne, en effet, ne veut s'identifier aux vaincus de la bataille. Un de mes ennemis de jeu me signale que deux canons intacts ont été abandonnés devant le collège Saint Augustin à la suite d'un combat entre Allemands et maquisards. En route donc vers ce nouveau centre d'intérêt.<br /></p> <p>En chemin, nous nous arrêtons devant la grille d'un couvent situé à proximité de l'étang de la Dodane, vestige d'une douve médiévale. L'endroit a été transformé en hôpital. Deux brancardiers allemands effectuent un transport particulier vers un petit bâtiment isolé. Un cadavre recouvert d'une couverture gît sur leur civière. Son képi et quelques effets personnels dont un portefeuille s'étalent à ses côtés. Un bras s'est dégagé de la couverture et s'agite mollement dans le vide au gré des balancements du brancard. Nous ne doutons pas qu'ici également les enfants sont indésirables et nous nous rendons au collège.<br /></p> <p>Le long de la façade du bâtiment deux canons abandonnés semblent attendre le retour de leurs servants. Nouveau miracle, aucun surveillant à l'horizon pour nous empêcher d'assouvir nos envies guerrières. Et les fantassins de tout à l'heure se muent en d'habiles artilleurs. Aucune manette, aucun levier, aucune manivelle qui ne soit levée, abaissée ou tournée en tous sens. La fierté devait briller dans mes yeux lorsque je parvins à hausser ou à descendre le fût d'un des canons.<br /> Nous décidons d'essayer de nous introduire dans le collège transformé en hôpital. Mais une animation provoquée par un départ de soldats légèrement blessés vers un camp de prisonniers ainsi qu'une sentinelle postée devant la porte d'entrée des lieux nous en dissuade. Nous nous livrerons à une autre tentative demain.<br /></p> <p>Nos pérégrinations se poursuivent par la visite de notre école réquisitionnée par l'armée anglaise. Nous demandons au directeur de l'établissement que nous apercevons dans la cour de récréation de nous permettre une rapide visite des lieux. Il accepte et profite de l'opportunité pour nous signaler qu'il désire que nous assistions à l'enterrement prochain des victimes enghiennoises. Il nous annonce également que des classes provisoires seront ouvertes sans tarder dans des établissements publics. Je croise le regard de Joseph qui en dit long sur l'absence d'enthousiasme provoquée par ces nouvelles.<br /> Le préau de la cour des garçons abrite une cuisine roulante. Il est quatre heures. Une odeur agréable qui m'est inconnue s'échappe d'une grande cuve fumante. Un cuistot nous accoste, une louche et deux cruchons en aluminium à la main et par gestes nous propose ce qu'il appelle du « tea ». Suffisamment futés pour deviner qu'il s'agit de thé nous acceptons avec une joie non dissimulée. Nous ne connaissons cette boisson que de nom. Arrosé de lait en poudre et lesté de sucre ce breuvage s'avère délicieux. Joseph s'adresse au cuisinier et sort la phrase que tout enfant a vite fait d'apprendre et qui tend déjà vers l'universalité : « Chocolat' for mama, cigaret' for papa, chwingom for mî ». Je m'interrogerai plus tard sur l'orthographe de ces mots. Pour le moment seule compte leur prononciation. Et cette dernière n'a pu être prise en défaut car nous quittons l'école les poches pleines de friandises, de cigarettes Players et de menus souvenirs militaires. <br /></p> <p>Joseph propose de nous rendre au bois de Strioux où le dépôt allemand de munitions a explosé. Il doit bien y traîner encore quelques objets intéressants. Mais il est temps de rentrer à la maison. La visite est remise à demain. Il nous reste également à jeter un coup d'œil sur plusieurs camps de prisonniers de guerre ainsi que, si possible, sur l'hôpital du collège.<br /> Nous convenons de ne raconter à nos parents qu'une partie de nos activités. Avant de partir, nous avions, en effet, dû promettre de ne toucher à aucun objet d'origine militaire.<br /></p> <p>Ma mère a rouvert le magasin mais les denrées manquent toujours. Elle m'annonce que Bruxelles a été libérée aujourd'hui. Elle me signale également qu'un bal populaire sera organisé samedi soir à la place de la station, au milieu des ruines du bombardement de mai 1940. Les organisateurs n'ont pas le choix de l'endroit, toutes les autres places de la ville sont encombrées de tentes et de matériel appartenant à l'armée de libération.<br /> Mon père a présenté ses services de cuisinier aux Anglais et a été enrôlé à la cantine des officiers, au grand parc. Il commence demain. Ce sera sa première fréquentation de la gent militaire.<br /></p> <p>Mon beau frère Pierre s'est promené toute la journée dans la ville, ne voulant perdre aucune parcelle de sa liberté retrouvée. Il aspire à oublier sa longue séquestration et les pénibles moments passés dans sa cachette sous l'évier de sa cuisine. La menace de retourner en Allemagne comme travailleur obligatoire s'est soudainement et définitivement évaporée.<br /></p> <p>La joie générale qui a explosé hier s'est muée en un bonheur serein.<br /> Je vis intensément le moment présent. Quoi qu'il advienne, le futur sera préférable au passé. <br /> Le western va bientôt se terminer et le mot « Fin » va s'inscrire sur les derniers mètres de la pellicule. Les « méchants » ont parfaitement interprété leur rôle. Les « bons » se sont montrés parfois décevants. Leurs rangs ont souvent été infiltrés par des félons. Mais comme souvent la cavalerie est apparue alors que tout semblait perdu. Les « mauvais » et les traîtres subiront bientôt le châtiment mérité.<br /> Assis dans le fauteuil, mon chat sur les genoux, j'écoute la radio d'où filtre une entraînante musique américaine.<br /> Je sors mon butin de guerre de mes poches. Son inventaire me procure une voluptueuse impression de richesse : deux tablettes de chewing gum, le reste d'un morceau de chocolat, une douille de cartouche, un galon de caporal, une cigarette écrasée, un penny et un insigne de béret britannique.<br /> Le ciel teinte de couleur bleue le toit vitré de la véranda. Le chat ronronne, les pigeons entament une sarabande autour de mon père.<br /> Je me tiens coi, de crainte de briser ce nouvel enchantement.</p></div> Bonne-Maman (Yvette M.) https://agesettransmissions.be/spip.php?article1005 https://agesettransmissions.be/spip.php?article1005 2014-02-10T13:06:36Z text/html fr Raton Laveur Grands-parents <p>Ce texte fait partie du feuilleton d'Yvette Lire l'ensemble <br class='autobr' /> De mes quatre grands-parents, je n'ai connu que ma grand-mère maternelle. Nous l'appelions Bonne-Maman. Je n'avais que 7 ans quand elle est décédée, mes souvenirs sont donc rares et très flous. C'était juste après la guerre qui avait laissé mes parents, comme presque tous les villageois alentour, complètement sinistrés. La maison de Bonne-Maman, une des rares qui possédait encore 4 murs, était voisine du baraquement où mes parents et leurs 4 (...)</p> - <a href="https://agesettransmissions.be/spip.php?rubrique155" rel="directory">Mon enfance en Ardennes (Yvette M.)</a> / <a href="https://agesettransmissions.be/spip.php?mot190" rel="tag">Grands-parents</a> <div class='rss_chapo'><p>Ce texte fait partie du feuilleton d'Yvette <a href='https://agesettransmissions.be/spip.php?rubrique155' class='spip_in'>Lire l'ensemble</a></p></div> <div class='rss_texte'><p>De mes quatre grands-parents, je n'ai connu que ma grand-mère maternelle. Nous l'appelions Bonne-Maman. Je n'avais que 7 ans quand elle est décédée, mes souvenirs sont donc rares et très flous. C'était juste après la guerre qui avait laissé mes parents, comme presque tous les villageois alentour, complètement sinistrés. La maison de Bonne-Maman, une des rares qui possédait encore 4 murs, était voisine du baraquement où mes parents et leurs 4 enfants habitaient. L'école du village, avec le logement y attenant où nous étions nés tous les 4, avait entièrement brûlé. Les allées-venues entre la ferme de Bonne-Maman et notre baraquement se faisaient dans les deux sens. Il suffisait de traverser un pré.<br></p> <p>Bonne-Maman, veuve depuis ses quarante-six ans, vivait dans sa maison avec son plus jeune, mon parrain, qui n'était pas encore marié. Aidés de domestiques, ils recommençaient à faire tourner l'exploitation agricole.<br></p> <p> Mes souvenirs sont gustatifs et olfactifs. <br> Chez Bonne-Maman, après la traite des vaches et l'écrémage du lait, je pouvais tremper mes petits doigts dans le seau de crème pour les lécher ensuite. Un vrai délice !<br></p> <p>J'ai retrouvé une fois en France l'odeur d'une préparation faite par Bonne-Maman. C'était, je crois, à base de pommes de terre, réchauffées à la poële, avec du lait ajouté ? Peut-être.<br> L'odeur très caractéristique qui m'est revenue de si loin provenait probablement de la graisse qu'elle mettait dans sa poêle. Du lard ?… Du saindoux ?…. Du beurre ?….Plus personne ne peut me le dire.<br></p> <p>En soirée, Bonne-Maman montait le pré. Chez nous, il faisait sans doute plus chaud et puis elle s'y sentait en famille, entourée de sa fille, son beau-fils, et nous quatre, les petiots.<br> Elle s'asseyait sur une chaise coincée entre un buffet et le poêle crapaud qui servait aussi de cuisinière. Le bonheur était de se réfugier sur ses genoux. Sans être très grosse, elle avait la poitrine rebondie et accueillante. Là, elle chantait volontiers : les comptines habituelles mais aussi le « Grand Saint Alexis » et la « Complainte du juif errant » dont ma sœur aînée a retrouvé les paroles mais pas la mélodie, malheureusement.<br></p> <p>Je n'ai pas le souvenir d'avoir été grondée par Bonne-Maman. L'autorité chez nous, c'était Papa et personne d'autre.<br></p> <p>Les photos que nous avons d'elle sont rares et d'autant plus précieuses. La dernière date de cette époque (1946-47), elle a un beau sourire et pourtant elle n'a plus toutes ses dents, ce qui lui donne un menton en galoche. Ce sont ses yeux qui sourient le mieux. Ses cheveux blancs sont tirés en arrière, en petit chignon porté assez haut. Elle a des boucles d'oreilles en or qui tremblotent au moindre mouvement. Sur ses genoux, comme tout enfant c'est cela qui nous fascinait. <br></p> <p>Elle s'habillait comme toute vieille dame en Ardenne. Ses robes descendaient à la cheville. Ses corsages n'avaient jamais de décolleté. Elle avait reçu en cadeau de je ne sais qui, un petit châle bleu au crochet. Il avait été parfumé et le portait très rarement. Nous aimions le sortir de l'armoire et plonger notre nez dedans pour en sentir le délicieux parfum. Un peu de luxe dans notre dénuement d'après guerre. Notre grand-mère s'est éteinte chez nous sans avoir été longtemps malade.</p> <p><a href='https://agesettransmissions.be/spip.php?article1004' class='spip_in'>Lire la suite</a></p></div> Les hivers (Yvette M.) https://agesettransmissions.be/spip.php?article1004 https://agesettransmissions.be/spip.php?article1004 2014-02-10T13:06:29Z text/html fr Raton Laveur <p>Ce texte fait partie du feuilleton d'Yvette Lire l'ensemble <br class='autobr' /> Cet Hiver 2013, particulièrement rigoureux et long, me fait penser aux hivers de mon enfance. <br class='autobr' /> Dans notre baraquement, la vie se concentrait autour de trois endroits chauffés : la cuisine-salle à manger, une chambre à coucher et l'école dont je vous ai déjà parlé. <br class='autobr' /> La cuisine avait une porte qui ouvrait directement vers le dehors, orientée à l'Est. Papa la calfeutrait au mieux à l'aide de papier journal. Au-dessus il y avait une imposte en (...)</p> - <a href="https://agesettransmissions.be/spip.php?rubrique155" rel="directory">Mon enfance en Ardennes (Yvette M.)</a> <div class='rss_chapo'><p>Ce texte fait partie du feuilleton d'Yvette <a href='https://agesettransmissions.be/spip.php?rubrique155' class='spip_in'>Lire l'ensemble</a></p></div> <div class='rss_texte'><p>Cet Hiver 2013, particulièrement rigoureux et long, me fait penser aux hivers de mon enfance. <br></p> <p>Dans notre baraquement, la vie se concentrait autour de trois endroits chauffés : la cuisine-salle à manger, une chambre à coucher et l'école dont je vous ai déjà parlé.<br></p> <p>La cuisine avait une porte qui ouvrait directement vers le dehors, orientée à l'Est. Papa la calfeutrait au mieux à l'aide de papier journal. Au-dessus il y avait une imposte en verre armé qui avait été troué par une balle, de ce trou partaient des fêlures en étoile. Il était bouché par une grosse boulette de papier journal. Le poêle crapaud avançait loin vers le centre de la pièce. <br> Maman se levait toujours la première et y allumait le feu. Quand ce feu était bien lancé, le pot rougissait tellement qu'il a fini par péter. Feu qu'il fallait nourrir continuellement. C'est Papa qui était chargé de fendre les grosses bûches, préparer le petit bois ou les fagotins de ramilles, remplir la charbonnière. <br> C'est dans cette pièce que Maman cuisinait. Nous mangions là matin, midi et soir, tous les six autour de la table. Papa y lisait son journal. On y écoutait la radio. Maman y recevait ses amies en soirée. <br> Cette pièce était le cœur de la maison. Le samedi, c'est aussi là que l'on prenait son bain. Au début en tout cas. Dans une cuvelle à lessiver remplie d'eau chauffée à bonne température, les quatre enfants passaient dans la bassine. Maman nous lavait, Papa nous posait sur une chaise et nous essuyait. C'était le jour où l'on changeait de chemise et de culotte. <br> Plus tard, pour ménager nos pudeurs, Papa aidé du forgeron du village, nous a fabriqué une baignoire selon le modèle des abreuvoirs à vaches. On la posait à côté du lit dans la chambre des parents. <br></p> <p>Cette pièce était également chauffée à l'aide d'un poêle appelé continu.<br class='autobr' /> Alors, la soirée se passait dans cette chambre, pour nous les enfants. Les deux lits devenaient aires de jeux. Je me souviens très bien des soirées qui suivaient les St Nicolas. On étalait nos friandises sur les lits et le plaisir était de compter, d'échanger, de commenter, de suçoter, de remballer dans les beaux papiers d'argent. Ces soirées-là, pour moi, c'était comme le paradis. St Nicolas ne nous avait pas oubliés : un mécano pour mon frère, une poupée en celluloïd pour moi, la même pour ma petite sœur. On s'endormait bien au chaud, la tête remplie de rêves enchantés.<br> Cà, c'était quand on allumait ce feu continu. Sinon, cette foutue baraque était très mal isolée. Mon frère m'a rappelé que les pipis du soir, que nous faisions dans un vase de nuit glissé sous le lit, au matin, ils étaient gelés !<br class='autobr' /> Au matin aussi, le bord du drap de lit mouillé par notre respiration, était raidi par le gel.<br> Un rituel des soirées d'hiver était la préparation des bouillottes fabriquées aussi par Papa.<br> Il avait récupéré des douilles d'obus en cuivre et avait soudé au-dessus un rond de métal muni d'un bouchon à visser. C'est Papa aussi qui se chargeait de les transporter dans nos lits une ou deux heures avant le coucher. Papa aussi, avait cousu des housses en tissu pour qu'elles ne brûlent pas. <br></p> <p>En hiver sous nos robes, nous portions des sortes de pantalons de training qu'on appelait des grandes culottes. Pas encore d'anoraks à capuchon. Nous avions des bonnets du genre passe-montagne. Aux pieds, pour les jeux dans la neige, des bottes en caoutchouc.<br> La neige ! On l'accueillait chaque hiver avec des cris de joie : Maman, il a neigé !<br> Contrairement aux autres enfants du village, filles ou fils d'agriculteurs, et engagé aux travaux de la ferme, nous ne manquions pas de loisirs. <br></p> <p>En récréation, les batailles de boules de neige étaient le jeu favori des garçons. Moi, ce que j'aimais le plus, c'était m'élancer en courant pour glisser sur la glace ou la neige tassée. Très très longues glissades que je finissais à croupetons. La cour était en pente. Un vrai bonheur. Pour les glissades à traîneaux, nous allions sur la route qui, au carrefour descendait vers l'Ouest. On l'appelait la rampe. Le garde champêtre nous a plus d'une fois envoyés jouer ailleurs. Aujourd'hui ce n'est plus possible, comme sont interdites dans les écoles, les batailles de boules.<br></p> <p>Autre souvenir de neige.<br> Les bonshommes bien sûr, mais aussi une sorte d'iglou creusé dans un tas de neige gelée. On y entrait à quatre pattes et à l'intérieur, on ne pouvait que s'asseoir mais on en était très fier.<br> Dans la prairie derrière le baraquement, la toute première neige sans aucune trace de quoi que ce soit, inspirait notre créativité. Nous tracions d'énormes cercles et leurs rayons en piétinant la neige à petits pas. Des « crombs circles » à notre mesure.<br></p> <p> De ces hivers ardennais, il me revient des tas de souvenirs.<br> Encore un : Il avait beaucoup plu. Les prés du côté du ruisseau étaient en partie inondés. Et puis un beau jour, un gros coup de gel a figé toute cette eau et voilà une patinoire. Quelle aubaine et quelle belle glissoire cela nous faisait ! On s'y est tellement amusé un jour après l'école qu'on n'a pas vu la nuit tomber. Papa enfin un peu inquiet, a fait retentir son sifflet pour nous rappeler. Nos parents n'étaient-ils pas un peu trop insouciants ? Je me le demande parfois.<br></p> <p>La neige pouvait être tellement abondante que les enfants du village voisin ne venaient pas à l'école. Sauf Fernand, qui avait bravé les congères presque aussi hautes que lui, et qui était présent, au grand étonnement de Papa. Fernand fut félicité, je m'en souviens. <br> Les chasse-neige passaient sur les routes dès le matin mais quand le vent souffle c'est toujours à recommencer. On l'a encore vu cet hiver.<br></p> <p>Ma petite sœur est née un 12 mars et il y avait ce jour-là, tellement de neige, que l'accoucheuse n'a pu venir à temps. C'est Papa qui a aidé Maman à mettre son bébé au monde. Plus tard, quand il racontait l'événement, il précisait qu'il n'avait pas osé couper le cordon. Quand le médecin est arrivé, il a dit : Ce n'est pas difficile, regardez !<br></p> <p>Un autre événement dont je n'ai pas le souvenir, mais que Papa racontait : Il y avait à Foy, mon village natal, un homme hémophile, Joseph. Un jour de grande neige, il dut se rendre à la clinique de Bastogne pour arrêter une hémorragie. Les routes n'étaient pas dégagées, ne nombreux voisins et amis furent mobilisés pour accompagner la voiture qui le conduisait et déblayer la neige à coups de pelles, devant les roues. De Foy à Bastogne, il y a 5 km. Papa disait qu'il y avait tellement de neige qu'on ne voyait plus la route. Joseph arriva à temps à la clinique. C'était cela aussi l'hiver en Ardenne, dans ces années-là.</p> <p><a href='https://agesettransmissions.be/spip.php?article1003' class='spip_in'>Lire la suite</a></p></div> Les animaux et moi (Yvette M.) https://agesettransmissions.be/spip.php?article1003 https://agesettransmissions.be/spip.php?article1003 2014-02-10T13:06:18Z text/html fr Raton Laveur Nature, animaux <p>Ce texte fait partie du feuilleton d'Yvette Lire l'ensemble <br class='autobr' /> Vivre à la campagne impliquait un rapport proche mais surtout utilitaire avec les animaux. <br class='autobr' /> Mes grands-parents étaient agriculteurs-éleveurs, les oncles et cousins qui habitaient au village l'étaient également. Dans ce milieu-là, si on a des poules, c'est pour les œufs, les lapins on les tue et on les mange, le chat fait la chasse aux souris, le chien rassemble les troupeaux. <br class='autobr' /> Ici à Bruxelles c'est très différent. Le lien affectif semble (...)</p> - <a href="https://agesettransmissions.be/spip.php?rubrique155" rel="directory">Mon enfance en Ardennes (Yvette M.)</a> / <a href="https://agesettransmissions.be/spip.php?mot157" rel="tag">Nature, animaux</a> <div class='rss_chapo'><p>Ce texte fait partie du feuilleton d'Yvette <a href='https://agesettransmissions.be/spip.php?rubrique155' class='spip_in'>Lire l'ensemble</a></p></div> <div class='rss_texte'><p>Vivre à la campagne impliquait un rapport proche mais surtout utilitaire avec les animaux.<br> Mes grands-parents étaient agriculteurs-éleveurs, les oncles et cousins qui habitaient au village l'étaient également. Dans ce milieu-là, si on a des poules, c'est pour les œufs, les lapins on les tue et on les mange, le chat fait la chasse aux souris, le chien rassemble les troupeaux.<br> Ici à Bruxelles c'est très différent. Le lien affectif semble beaucoup plus fort. L'animal est une compagnie. Je n'ai jamais voulu avoir d'animal, pourtant je vis seule. Est-ce à cause de ce vécu en milieu rural ? Je ne sais pas.<br></p> <p>Après la guerre, Papa avait construit un poulailler afin d'y élever quelques poules. Mais elles traversaient imprudemment la route et mouraient sous les roues des voitures. Papa se découragea et nous permis d'installer notre boutique dans le poulailler désaffecté et nettoyé.<br> L'élevage des lapins lui dura très longtemps. Pour l'hiver, ils avaient des clapiers à l'abri du froid. Papa préparait leur pâtée avec des épluchures de pommes de terre que l'on cuisait et auxquelles on ajoutait du son. On écrasait le tout avec la main. Dès que l'herbe se mettait à pousser, on parquait les lapins dans de grandes cages sans fond de 4m2 environ. On déplaçait les cages dès que l'herbe était rasée. Le système n'était pas parfait : les lapins creusaient souvent des passages sous les cages afin d'aller plus loin ronger une herbe plus appétissante. Il fallait alors se précipiter et les récupérer au plus vite. Pour ça, Papa avait besoin de nous. Il nous obligeait aussi d'aller remplir les paniers de chicorées au bord des chemins. C'était une corvée que nous n'aimions pas faire. Quand un lapin était bon pour la casserole, Papa l'attrapait par les deux oreilles et lui assénait un coup de bâton dans la nuque. C'est rapide et radical. Après ça, le lapin était accroché par les deux pattes arrières et à partir de ses pattes, il écorchait la bête en détachant la peau de la chair, à l'aide d'un bon couteau. L'animal écorché, éviscéré et débité en morceaux, mon Père passait le relais à Maman qui devait le cuire. C'était souvent une recette aux pruneaux. Si le lapin était suffisamment gros on avait de la viande pour deux jours.<br></p> <p>Un autre élevage qui occupait beaucoup Papa, c'était les abeilles. Il s'était fabriqué une quinzaine de ruches qu'il avait alignées au fond du potager, de l'autre côté de la route. Je l'ai vu à l'œuvre dans toutes les phases du nourrissage et de la récolte du miel. Il s'était peu à peu perfectionné et était même devenu une référence chez les apiculteurs amateurs. Le nourrissage se faisait avant l'hiver. Il fondait du sucre qu'il distribuait à chaque colonie pour remplacer le miel qu'il leur avait prélevé. Pour la récolte il s'était équipé de tout un matériel : un extracteur, sorte d'essoreuse où, grâce à une manivelle on fait tourner les cadres. C'est la force centrifuge qui vide les alvéoles de leur miel. Le miel tamisé était alors entreposé dans les maturateurs, grandes cuves de 1m de profondeur. Là, nous étions chargés de mélanger le miel à l'aide de grandes spatules en bois. On faisait çà deux fois par jour pendant au moins une semaine. De cette façon il s'épaississait sans cristalliser. Enfin, c'était la mise en bocaux. Tout un travail qui occupait chacun de nous. Nous avions des clients fidèles. Comme dans tout élevage, il fallait subir les aléas du climat : un printemps pluvieux et c'était une petite récolte qui ne suffisait pas à satisfaire tout le monde. Une bonne année par contre, le miel en surabondance se conservait bien et se vendait l'année suivante. <br> Mon frère a poursuivi la tradition, ainsi que son fils qui a encore quelques ruches à Liège. Mais actuellement, les pauvres abeilles souffrent beaucoup. Il y a les pesticides qui les affaiblissent et les rendent vulnérables aux maladies et aux prédateurs. C'est triste de constater la disparition du métier d'apiculteur découragé par la mort de ses colonies.<br></p> <p>Mon Père n'était ni pêcheur ni chasseur mais je me rappelle que mon frère, encouragé par un copain de classe, eut l'idée de poser des collets pour attraper des grives. <br> Ses collets préparés, il les avait accrochés dans un bois à 1,50m du sol environ, suivant tout un trajet. Pour appâter les grives, il accrochait des sorbes. Je l'ai accompagné quelques fois pour voir si les pièges avaient bien fonctionné et décrocher les grives ou les merles qui s'y étaient fait prendre. Malheureusement il n'a pas eu beaucoup de chance. Quelqu'un passait-il avant nous ? L'endroit avait-il été mal choisi ? Mon frère décrocha définitivement ses collets.<br></p> <p>Une autre expérience animale : j'avais plus ou moins dix ans. Ma petite sœur avait obtenu de nos parents l'autorisation d'élever un petit chevreau, que nous avions appelé Bambi. Il était mignon à croquer. Son doux pelage blanc, sa belle petite tête avec ses grands yeux curieux, sa petite queue relevée, tout ça nous comblait de plaisir, ma petite sœur et moi. Dans notre pré, il était attaché par une corde à un pieu autour duquel il tournait pour brouter l'herbe mais après la classe, nous nous disputions pour aller le promener afin qu'il puisse manger autre chose. Les jeunes feuilles des arbres, il adorait ça. La nuit on l'enfermait dans une cage avec couvercle. Ce couvercle, on le soulevait à l'aide d'une corde. Cette maudite corde avec une boucle au bout fut cause de la mort prématurée de cet amour de petit biquet. Et cela aussi à cause de moi qui remis le couvercle à l'envers, la corde traînant alors dans la cage. Bambi s'y est étranglé. Ma sœur me l'a reproché longtemps.<br> Des souvenirs d'animaux j'en ai beaucoup. En voici encore un. Je suis alors adolescente. Des bûcherons du village ont abattu un arbre au sommet duquel se trouvait un nid de petits écureuils. François, l'aîné d'entre eux, a pensé à nous pour les nourrir et les élever. Papa a fabriqué une cage, nous avons acheté un biberon pour poupée, et à tout de rôle nous avons nourri ces quatre bébés écureuils. Ils tétaient de bon cœur et grandissaient à vue d'œil. On leur a donné des fruits secs, des pommes, toutes sortes de choses. Ils étaient tous différents : L'un complètement roux, un autre avec du noir sur les oreilles et la queue, un troisième plus gris, le quatrième, j'ai oublié. Parfois on les sortait de leur cage et ma mère poussaient des cris de frayeur quand ils grimpaient autour des ses jambes. Ils étaient plus ou moins apprivoisés. Trois d'entre eux sont morts d'accident ou de carence alimentaire. Le dernier a profité d'une porte ouverte pour s'enfuir dans les arbres de la drève toute proche. C'est ma sœur aînée qui en eut le plus de chagrin.<br> Nous avons aussi eu un chien ratier appelé Milou. Plus tard nous avons recueilli un chat mais il ne chassait pas les souris. C'était un chat paresseux.<br></p> <p>Quand elle fut en première année secondaire, ma sœur Suzy ramena des souris blanches et entreprit d'en faire l'élevage. Il fallut arrêter l'expérience tant l'odeur envahissait notre logis. <br> Comment parler des animaux sans évoquer le beau cheval de trait que mon oncle Léon a conservé jusqu'à sa retraite et même après. Oncle Léon était un rêveur, pas très courageux et pas vraiment fait pour son métier d'agriculteur. Quand tous ses voisins et son frère, s'étaient mis au tracteur, il continuait de labourer, tracter ses machines et ses chariots de foin grâce à son fidèle compagnon.<br></p> <p>Je termine ce chapitre par les vaches. Le cousin de ma mère, Romain Cordonnier, avait aussi une ferme et habitait très près de chez nous. Après l'école, leurs enfants, dont les plus jeunes avaient plus ou moins notre âge, étaient engagés aux travaux de la ferme. Moi j'adorais descendre chez eux et je suivais Liline, la fille, dans toutes ses occupations. J'assistais à la traite des vaches, au nourrissage des veaux. Je la suivais dans la laiterie où il fallait écrémer le lait, laver l'écrémeuse avec beaucoup de soin. Quand je rentrais chez nous, je sentais l'étable disait Maman. <br></p></div> A propos des naissances (Yvette M.) https://agesettransmissions.be/spip.php?article1009 https://agesettransmissions.be/spip.php?article1009 2014-01-21T09:05:58Z text/html fr Raton Laveur Education hors école <p>Ce texte fait partie du feuilleton d'Yvette Lire l'ensemble <br class='autobr' /> De penser à cette promiscuité obligée et parfois mal ressentie de part et d'autre, je me souviens un peu des questions qui nous turlupinaient beaucoup. A cette époque les enfants restaient longtemps ignorants de la façon dont on fait les bébés. <br class='autobr' /> Chez nous, Maman nous disait que le docteur ou l'accoucheuse Léa Nadin apportait un bébé aux femmes qui avaient été malades ou avaient fait une chute. Comme un cadeau pour accélérer la guérison ? Pour (...)</p> - <a href="https://agesettransmissions.be/spip.php?rubrique155" rel="directory">Mon enfance en Ardennes (Yvette M.)</a> / <a href="https://agesettransmissions.be/spip.php?mot143" rel="tag">Education hors école</a> <div class='rss_chapo'><p>Ce texte fait partie du feuilleton d'Yvette <a href='https://agesettransmissions.be/spip.php?rubrique155' class='spip_in'>Lire l'ensemble</a></p></div> <div class='rss_texte'><p>De penser à cette promiscuité obligée et parfois mal ressentie de part et d'autre, je me souviens un peu des questions qui nous turlupinaient beaucoup.<br class='autobr' /> A cette époque les enfants restaient longtemps ignorants de la façon dont on fait les bébés.<br> Chez nous, Maman nous disait que le docteur ou l'accoucheuse Léa Nadin apportait un bébé aux femmes qui avaient été malades ou avaient fait une chute. Comme un cadeau pour accélérer la guérison ? Pour compenser une déveine quelconque ?<br></p> <p>Tante Ghislaine était une petite femme et quand elle était enceinte, ça se voyait beaucoup. Elle aurait presque pu rouler comme un gros ballon qu'elle était. Le jour fatidique il était hors de question qu'on reste là ; on aurait entendu les cris et les gémissements. Maman nous envoyait ailleurs chez les cousins Cordonnier. Enfin quand on pouvait rentrer chez nous, on nous annonçait l'arrivée d'un bébé. Tante Ghislaine avait retrouvé sa ligne, elle était contente que Léa Nadin ne l'ait pas oubliée.<br></p> <p>Maman et Papa n'ont jamais trouvé les mots pour nous expliquer. A nos questions, Maman nous ressassait la même chose : « Tante Ghislaine avait commandé une petite fille, Léa la lui a apportée »<br> Entre nous, en récréation surtout, nous en parlions. Les autres aussi, pourtant filles de fermiers étaient aussi ignorantes que moi. Un jour, un garçon nous a dit crûment : « Les parents ils font comme les taureaux et les vaches et les bébés sortent du pet des mamans ! »<br> Tant de questions, de suppositions qui avaient enfin un début de réponse. Je devais avoir 10-11 ans. Pourtant j'avais vu des vaches vêler, j'avais vu, de loin il est vrai, un étalon monter une jument. Marie-Thérèse nous avait dit qu'elle avait conduit « sa bibique à bouc ».<br> Papa élevait des lapins et là on était au courant de la façon dont cela se passait. Mais c'est un peu comme si les hommes et les femmes avaient inventé une façon de faire moins animale, un peu angélique.<br></p> <p>Après cette longue diversion, je reviens au baraquement qui fut notre logement durant 13 ans environ : notre enfance et notre adolescence. Papa s'était très vite accommodé de la situation.<br> Pour Maman ce fut plus difficile. Elle aimait nous rappeler que sa maison d'enfance et de jeune-fille était la première à être fleurie de géraniums chaque été. Cela grâce à elle. Elle fut heureuse d'entretenir et d'embellir sont logis de jeune mariée. Elle en était fière. Mais ce foutu baraquement elle ne l'a jamais vraiment investi.<br></p> <p>Avec Papa qui était très bricoleur, elle aurait pu lui demander des aménagements, des embellissements. Elle nous disait : « J'ai perdu le goût ». La commune fit le projet d'une nouvelle école située entre les deux villages, au lieu dit : « Le Poteau », un peu à l'écart donc. Elle ne se réjouissait pas d'aller habiter au Poteau. Elle avait toujours vécu au centre, le long de la grand-route et cette nouvelle école lui paraissait loin de tout.</p> <p><a href='https://agesettransmissions.be/spip.php?article1008' class='spip_in'>Lire la suite</a></p></div>