Ce texte est issu de notre recueil d’histoires vécues imprimé sous forme de livre « 123 j’ai vu - Des seniors d’aujourd’hui racontent leur enfance d’hier »

Agé d’une dizaine d’années, j’étais en vacances chez ma grand-mère à Braine-le-Comte. Ce matin-là, je regardais passer les trains, juché sur la clôture en béton qui bordait les voies, près du passage à niveau. Laissez-moi vous raconter ce qui est arrivé ce jour-là.

Plusieurs fois déjà, une locomotive de manœuvre est passée et repassée devant moi, tantôt seule, tantôt en tirant ou poussant quelques wagons destinés à un train de marchandises en formation dans la gare, cinq cents mètres plus loin.
Mais cette fois, la machine s’arrête devant moi dans un grand panache de vapeur blanche et, du haut de sa cabine, le mécanicien m’adresse la parole.
« Bonjour Petit, que fais-tu là ? » Je lui réponds : « Je suis en vacances chez mes grands-parents » et il me demande : « Comment s’appelle ton grand-père ? » Je lui réponds et il s’exclame : « Emile, mais je le connais bien, nous avons travaillé ensemble dans le temps ! Aimerais-tu faire un tour en locomotive avec nous ? » J’ai dû dire oui, car il se penche par-dessus la clôture, me soulève puis me dépose sur le plancher de sa cabine.

D’une main, il actionne un curieux robinet pour desserrer les freins et, de l’autre, il déplace un grand levier en fer pour lancer la vapeur dans les cylindres : la machine s’ébranle dans un énorme nuage blanc tandis que la cheminée, là-haut devant nous, crache des jets de fumée noire en poussant de grands soupirs enragés. Je suis très impressionné, je me tais. Le mécanicien et le chauffeur sont un peu comme des mineurs sortant de leur mine, la gueule noire de la poussière de ce bon charbon belge encore abondant à l’époque. Ils m’observent en riant. Au ras du plancher, entre les deux hommes, il y a une grande ouverture par laquelle le chauffeur jette régulièrement des pelletées de charbon dans le feu d’enfer de la chaudière. En y repensant, je garderai longtemps le souvenir vivace de la chaleur sur mon visage et de la lumière qui en rayonnait.

Nous arrivons cahin-caha à la gare, nous nous y arrêtons pour reprendre de l’eau, car notre locomotive en a grand besoin pour produire cette belle vapeur blanche. Ensuite un contremaître vient faire ma connaissance pendant que des manœuvres attellent d’autres wagons à notre locomotive. Après un coup de sifflet assourdissant, un signal nous indique enfin que la voie est libre et, après avoir jeté un coup d’œil sur ses mystérieux manomètres, le mécanicien redémarre la machine. Vous ne me croirez jamais, mais il me propose alors de la conduire ! Il me montre la manœuvre à effectuer et, sur la pointe des pieds, je l’exécute tant bien que mal, mais ça marche ! Et c’est ainsi que nous revenons près du passage à niveau. L’un des deux hommes me dépose alors du bon côté de la clôture. Ils me font tous deux un grand geste de la main et repartent dans leur énorme machine en riant de plus belle.

Et je remonte la rue de Ronquières en courant, pour raconter cette aventure à mes grands-parents. Ils m’écoutent attentivement mais je vois bien qu’ils ne me croient pas. Et d’ailleurs je n’insiste pas. Il me restera de cette aventure un vif intérêt pour tout ce qui roule sur terre ou vole dans l’air, que ce soit grâce au charbon ou au pétrole. Serait-ce pour cela que je deviendrai un jour ingénieur ?

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