Ages et transmissions

Aussi loin que remonte ma mémoire, mon imagination m’a souvent joué des tours. Un bien ? Un mal ? Allez savoir ! Toujours est-il que l’un de mes nombreux rêves d’ado a longtemps marqué ma vie sans pour autant en être la pierre angulaire.
A la fin de la guerre, la deuxième, (faudrait pas me vieillir à ce point) nous vivions, mes parents, mes cinq frères et sœurs et moi dans un petit village de la banlieue montoise. A cette époque, pas de télévision, peu de cinéma, pas de grand voyage, mais une vie ponctuée par le passage de temps en temps d’un petit cirque qui déployait son chapiteau sur la place. Pour nous c’était vraiment la fête. Pour moi, c’était la rencontre du seul personnage qui m’attirait : le clown . Mes yeux ne le quittaient pas : avec sa perruque mitée, son nœud papillon démesuré, sa veste écossaise ou bariolée, ses pantalons retenus par des bretelles étoilées, ses bottines dont la pointure devait avoisiner le 80, il était là traînant une valise immense. Son maquillage ajoutait à son ridicule.
J’étais fasciné par ces Augustes qui me faisaient rire, bien sûr, mais au- delà de cet amusement la magie opérait, mon imagination amplifiait le tout et je me voyais plus tard au milieu de la piste d’un grand cirque international, avec ma tête dessinée sur des affiches multicolores. Je devenais l’égal de Grock, Zavatta, et autre Popov. La foule scandait mon nom sur l’air des lampions : Bou-boule, Bou-boule... !
Non, ni Bouglione, ni Pinder, ni Jean Richard, ni Knie n’ont engagé Bouboule, le rêve est resté ce qu’il était...un moment de pur bonheur de mon imagination. Je n’ai jamais été Clown, quoique..
Il m’est arrivé de revêtir l’habit pour animer des petites fêtes. J’ai même monté tout un numéro avec ma femme pour partenaire. J’ai eu la chance de présenter ce petit spectacle lors d’une St Nicolas et d’être remarqué par un peintre qui m’a demandé de poser pour lui. Il avait toujours rêvé de peindre une tête de Clown. Le problème est que nous ne disposions que de deux heures avant de repartir chez nous, assez loin de l’endroit où habitait le peintre.
« Cela me suffira », dit-il. Et avec une virtuosité qui m’a époustouflé, il a peint à la gouache mon portrait en Auguste. Mais le plus incroyable c’est qu’à peine terminé, il m’a donné l’œuvre en me disant que son plaisir avait été de la réaliser, pas de la garder. Il s’appelait Warnotte et habitait Huy. Je ne l’ai jamais revu...
Mon métier d’éducateur m’a souvent donné l’occasion d’utiliser les facéties du Clown pour faire passer les messages auprès des handicapés dont je m’occupais.
Aujourd’hui, je suis en retraite mais Bouboule sommeille toujours en moi et il faudrait bien peu pour le réveiller.