Depuis ma plus tendre enfance j’ai des problèmes de pieds ! Pourtant j’étais très joliment chaussée hiver comme été.

En hiver, c’était une paire de hautes bottines Clarck en cuir blanc à lacets, qui enserraient mes chevilles comme des étaux. La semelle était en cuir, confortable, s’il neigeait ou gelait ! Elles avaient été achetées à gros prix dans une grande maison. Ma mère avait décrété, ne tenant absolument pas compte de l’état de mes pieds et de leur croissance, que ces bottines devaient être portées au moins trois saisons.

La première saison mes magnifiques bottines avaient un défaut : celui d’être trop grandes. De sorte que je devais compenser ce défaut par le port de chaussettes élégantes blanches en laine. En plus l’extrémité des bottines était comblée par de l’ouate sur laquelle butaient mes orteils. Malgré ces deux mesures, je devais recroqueviller mes orteils pour avancer.

La deuxième saison c’était mieux ! Mes pieds avaient grandi, les chaussures avaient presque la bonne pointure. Restait l’inconfort des semelles en cuir parfaitement glissantes comme le patin d’un fer à repasser.

La troisième saison c’était à nouveau l’enfer ! Cette fois mes pieds avaient froid car les chaussettes en laine avaient été remplacées par de fines chaussettes en coton. Malgré tout les bottines étaient devenues trop petites. Elles me serraient les pieds, me rappaient les talons. A force de frottement, j’avais de grosses phlyctènes. Mes chevilles frottaient douloureusement dans les bottines au point d’être blessées à sang. Je dois me protéger avec des morceaux de tissus blancs bouillis pour absorber les sécrétions. J’ai mal. ! Je n’en peux plus ! La souffrance me pince le cœur. Je devais plus que jamais garder mes orteils recroquevillés pour pouvoir encore marcher. Mes orteils se rétractent de plus en plus. Des oignions apparaissent sur les articulations de mes orteils sauf les gros qui ont la bonne idée d’être plus courts que les autres.

Pour la belle saison,j’avais une paire de mignonnes ballerines en vernis noir, qui bien entendu, devaient aussi tenir trois saisons. Je les portais avec des chaussettes blanches qu’il m’était interdit de salir. Ces chaussettes glissaient perpétuellement sur mes maigres chevilles.

Quelle obsession ! A chaque pas, je les sentais descendre sur mes malléoles. Je me baissais donc pour les remettre en bonne place. Ce tic me valut les sarcasmes de ma mère qui me lançait de manière peu amène :

 Tiens, voilà Miss chaussettes-culotte !
J’exécutais en effet un mouvement coordonné lorsque ma culotte à l’élastique fatigué, m’abandonnait dans une descente vers mes hanches maigrichonnes, pour continuer le chemin au-delà de l’ombilic et enfin se retrouver sans retenue aucune à mi-cuisses dénudant mon pubis imberbe d’enfant.

Les averses de pluie ou de neige fondante étaient ma hantise. Le sol était glissant pour mes bottines ou ballerines chics et chères. J’avais la phobie de la chute sur les cailloux de Bruxelles dits « les chapeaux boules ». Je n’avais que 6 ans mais ma démarche était aussi peu assurée que celle d’une personne affligée d’une maladie de Parkinson. J’avais peur de marcher, peur de tomber, je craignais la fracture et les reproches de ma mère. J’empruntais les bordures des trottoirs taillées en pierre bleue légèrement striée, comme les marches des églises.

Mes chaussures étaient mon cauchemar éveillé ! Mes tentatives pour ne pas les abandonner sur les pavés lorsqu’elles étaient trop grandes et continuer à marcher quand elles étaient trop petites furent un réel succès pour les chaussures et un désastre pour mes pieds. J’en ai déformé mes orteils, à tel point que j’ai été opérée à l’âge de 7 ans d’orteils en griffe et en marteau. J’en garde encore après 60 ans des séquelles douloureuses et bien des difficultés à me chausser.

4 commentaires Répondre

  • jeannineK Répondre

    vous me faite souvenir de mes chaussures en cuir trop petites

    pendant la guerre : j’avais 7 ans

    système D : mon oncle a découpé le bout pour en faire des chaussures aérées, les orteils étant à l’air libre

    modèle exclusif mais très apprécié pour son confort et surtout son originalité !

    merci Tonton !

    • Alexdeleuze Répondre

      "La deuxième saison c’était mieux ! Mes pieds avaient grandi, les chaussures avaient presque la bonne pointure. Restait l’inconfort des semelles en cuir parfaitement glissantes comme le patin d’un fer à repasser."

      Bonjour,
      C’est une bonne chose que les chaussures soient à la bonne pointure. Il ne faut pas qu’elles soient étroites sinon elles nous blessent. Voyez ceci en guise de preuve. Une fois que les pieds grandissent, on s’en débarrasse et on en achète d’autres. Mais que les chaussures viennent à être à la bonne pointure et qu’après elles soit glissantes, comme la semelle d’un fer à repasser, au point de générer de l’inquiétude à chaque fois qu’on les porte, on voit qu’il y a vraiment un problème !

  • Lucienne E Répondre

    Je croyais que cette torture de chaussures trop petites était une spécialité pour petites filles chinoises !Il eut mieux valu que ta mère t’achète chaque année une paire de chaussures adaptées et moins chères, elle s’y serait retrouvée dans ses économies et tu n’aurais pas souffert autant.Mais cela n’aurait pas été aussi "chic" socialement, j’imagine...Le "qu’en dira-t-on" fait des ravages, encore maintenant. J’aime l’idée de remplacer le "qu’en dira-t-on" pas "qu’en dira-moi" (l’ombre du précédent). C’est très lié. Et quand "moi" prend les rennes et se donne des permissions,le "qu’en dira-t-on" s’évanouit de lui-même, et finalement "les autres" s’en fichent. Je le conseille vivement.

  • Répondre

    Ma pauvre Annie ! Quel cauchemar que ces chaussures qu’elles soient d’hiver ou d’été !

    J’ai peine à imaginer cette obsession qui devait être celle de votre mère pour vous obliger ainsi a souffrir, a peiner pour garder aux pieds vos chaussures !
    Et vous n’aviez que six ans...

    Vous avez toute ma sympathie.
    Alice Jadin

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