Bolivia : 40 fois la Belgique, deux fois la France ; Brasil : 330 fois la
Belgique, 18 fois la France, quatre fois le Congo ! Des étendues que cette
année encore nous avons parcourues en famille. Cultures française,
espagnole, portugaise, nous y évoluons comme on nagerait dans l’eau douce d’
un lac, l’eau vivifiante d’un torrent ou l’eau porteuse de l’Atlantique.

Partis un 24 juin, le 25 à São Paulo, puis la suite dans les bus brésiliens
Marco Polo d’un confort et d’un silence que les Boeing et autres Airbus n’
atteindront jamais. Leur moyenne est de mille kilomètres en quinze heures. C
’est ainsi que nous nous retrouvons le 26 au petit matin à Foz d’ Iguaçu,
ville frontière avec l’Argentine et le Paraguay. Visite des célèbres chutes
du côté argentin, le lendemain parc aux oiseaux côté brésilien.

Bus jusqu’à Asunción, capitale du Paraguay où nous passons quatre jours chez
une belle sœur et où mes quatre enfants 16, 15, 13 et 12 ans sont heureux de
retrouver quatre de leurs cousins. Trente-six heures de bus nous mèneront à
travers le désert du Chaco puis via Santa Cruz de la Sierra à Cochabamba. A
six heures du matin nous y attendent au terminal terrestre mon beau-père, un
beau-frère et un mois de vie familiale élargie. C’est l’hiver austral à
2300m d’altitude : des gelées blanches au petit matin puis sous un ciel bleu
azur une température qui monte à 26-27°C en début d’après-midi. Pas besoin
de prévision météo, c’est garanti. Aux cousins venus d’Asunción se joignent
les autres. Cela fait une bande de dix-huit s’échelonnant entre 19 ans et 3
ans. Que de jeux, de partages en perspective. Evènement phare : mariage
boliviano-brésilien du plus jeune beau-frère. L’occasion de retrouver le ban
et l’arrière-ban.

Mais le mois cochabambino est vite écoulé. Le 4 août, d’un tire d’aile nous
nous retrouvons à Puerto- Suarez, ville frontière bolivienne proche du
fleuve Paraguay, déjà vu à Asunción. Passage douanier sans encombre. A
Corumbá, côté brésilien nous prenons, sans perdre une minute, un omnibus
pour Campo Grande où nous arrivons six heures plus tard à 23 heures.
Réservation du bus pour le lendemain matin 10h. Nuit d’hôtel à l’auberge de
jeunesse voisine. Malgré nos consignes, nos adolescentes n’ont pu éviter d’
emporter de nombreux souvenirs et achats de dernière minute et nous
véhiculons quelques lourdes valises.

Un jour et une nuit en direction de Brasilia. Les grandes vitres voient
défiler une succession de paysages au fil des heures de voyage : pantanal,
sertão, monts, villes agricoles puis au fil des états traversés, zones
industrielles et commerciales, villes touristiques. Ici le spectateur n’est
pas rivé sur son écran, assis dans un fauteuil, immobile. Non, le paysage
est fixe, le spectateur se déplace au fil des heures et toutes les trois de
celles-ci, arrêt pipi et repas pour permettre le repos, la rotation des
chauffeurs et la mobilité des voyageurs. Vastes restaurants capables de
recevoir des centaines de voyageurs, accueil toujours impeccable. Il y a en
moyenne de cinq à quinze bus à l’arrêt. Les noms des origines et des
destinations sont évocateurs : Rio Grande do Sul, Rio de Janeiro, São Paulo,
Uberlandia, Belo Horizonte, Victoría… La nuit le repos est confortable dans
les fauteuils Marco Polo qui n’ont rien à envier à ceux d’une classe
affaire.

Trente-six heures à Brasilia, ville de deux millions et demi d’habitants,
surgie il y a cinquante par la volonté de Juscelino Kubitschek, Président
visionnaire et de deux architectes de génie :Lucio Costa et Oscar Niemeyer.
Celui-ci, aujourd’hui centenaire, poursuit ses projets créatifs. Grande,
fonctionnelle, fonctionnaire : la ville a besoin d’être parcourue pour en
apprécier ses perspectives. Le sanctuaire Don Bosco, église carrée aux 48
vitraux élancés reprenant douze nuances de bleu, est un havre de paix au
cœur de la cité. Après des heures de marche nous apprécions une salade de
fruits servie sous les arbres de la grande esplanade : goyave, melon,
papaye, pastèque, fraises, banane, mangue, noix de cajou, mandarine,
ananas…pour 0,4 € chacun, nous voilà et désaltérés et rassasiés. Un libre
parcours dans les coulisses du sénat et du congrès donne la mesure
démocratique de ce Brésil aux 27 états. La place des trois pouvoirs attire
moins que les palmiers dont l’ombre protectrice nous permet une sieste
bienvenue. Le lendemain, de la tour de la télévision, à 75 m d’altitude nous
apercevons le contour de la ville. Puis un bus urbain nous emmène pendant
une heure et demie dans les quartiers résidentiels des lacs nord et sud. Un
magnifique pont suspendu à trois arches asymétriques d’une rare élégance
emporte notre regard admiratif.

Le second soir à 21 h, nous voilà repartis pour 12 heures de voyage vers
Belo Horizonte. C’est samedi lorsque nous arrivons. Le préposé à la
consigne, Henri, me répond en français impeccable. Nos sept bagages sont mis
dans un grand coffre et nous voilà libres, prêts à partir à la découverte
des deux petites villes baroques de XVIII°, joyaux-témoins de la richesse
résultant de l’exploitation des mines d’or de la région : Ouro-Preto et
Mariana.

La première ville est pentue, touristique, un peu figée dans ses ors et son
passé. La seconde est jointe en train 1900 remis en service par la société
minière du Rio Doce. Nous logeons chez la belle-mère d’une cousine de ma
femme, entre les deux églises baroques du centre. Pour une nuit nous faisons
partie intégrante du site historique. Le dimanche matin est propice à une
promenade et permet d’apprécier les détails architecturaux bien remis en
valeur par les restaurations et les choix des couleurs. Le hasard des
rencontres nous met en contact avec une famille franco-brésilienne dont le
mari est originaire de Guadeloupe et…d’un brésilien faisant campagne pour le
poste de préfet de la ville. Les élections auront lieu début octobre.

En début d’après-midi retour vers Belo Horizonte. L’omnibus suivant nous
attend à 18h pour la dernière longue étape : 26heures pour atteindre
Salvador de Bahia. Au cours de la nuit nous longeons une gare de chemin de
fer le long de laquelle sont stockés sur des kilomètres de grands rouleaux
de tôles d’acier Arcelor Mittal. Les hauts fourneaux rougeoient et une
torchère envoie une flamme plus qu’olympique bien haut dans le ciel. Tout le
lundi se poursuit par des vallées, de grands champs, parfois des forêts d’
eucalyptus et la traversée de petites villes. En fin de journée, l’
accrochage de deux camions nous retarde de deux heures et voici la pluie de
fin de parcours : nous ne l’avions plus vue depuis Asunción.

Ce n’est que le mardi matin, après une nuit passée dans un hôtel de transit,
que nous allons à la plage Barra do Forte. Nous nous installons pour une
semaine dans une sympatique pousada « La papaya verde » agrémentée d’un
petit jardin tropical. Les cafés da manha (petits-déjeuners) se révèlent des
meilleurs.
Voici le moment de récompenser la patience de nos enfants en leur offrant la
plage pour centre de leurs activités. Dès le second jour ils s’intègrent
parfaitement dans ce Brésil africain en suivant deux heures de cours de
capoeira et de leurs instruments de musique associés : berimbaus, atabaques,
pandeiros. . . Leur moniteur entraîne d’autres jeunes de son groupe et
chaque jour ce sont d’éblouissantes acrobaties qui font la joie des
touristes. Le dernier soir nous seront invités dans un centre de capoeira où
nos enfants y seront intégrés pendant deux heures. Nous retrouvons aussi
le tout récent jeune couple marié voici un mois.

Je parviens toutefois à entrainer la famille dans le quartier de
Poulourinho, centre historique où l’église San Francisco et ses huit-cents
kilos d’or , triomphe du baroque, n’est pas la seule œuvre remarquable.
Mais pour nos jeunes l’attraction de la plage est la plus forte. Je
consacrerai la suite de la journée et le lendemain pour découvrir les
ruelles, la vie active, les façades délicieusement vieillottes, son elevador
puis le mercado modelo, la vaste baie de Todos os Santos. Suivre les pas d’
un Jorge Machado, le balancement d’un palmier sous le vent, un groupe d’
écoliers tambourinant, pénétrer dans l’un ou l’autre musée, prendre un
cappuccino ou un suco –jus de fruit- tropical. Cadrer une quinzaine de
photos argentiques en attente de la lumière adéquate…pour faire naître,
peut-être un jour la curiosité, à mes enfants pressés de se glisser dans les
temps passés.

Au cours de ces deux dernières semaines nous avons pris la mesure de l’
immensité territoriale et des ressources naturelles et humaines de ce
continent Brésil. Des villes les plus récentes dont l’histoire se construit,
à celles chargées du passé, un peu figées et puis Salvador la tropicale,
vivante de son carnaval et de son dynamisme.

Et tout au long de ce périple : deux nuits d’avion, six nuits et jours d’
omnibus, j’ai pu laisser errer ma réflexion au gré des moments d’éveil et de
somnolence : pourquoi dans ce vaste Brésil tant de dynamisme, tant de
brassage de cultures, de races, tant de chaleur humaine, de gentillesse, de
solutions…De temps en temps un clic sur internet me donnait le pouls de la
grisaille météorologique et politique belge. Poussant plus loin la
réflexion, j’ai essayé de définir ce qui, au-delà des politiques, des
religions- et Dieu sait dans cette Amérique du Sud, combien y vont de leur
église seul gage certain de leur petit salut-, des races, des langues, des
sexes . . . oui quel est le seul, l’unique mais alors le lien le plus vital
qui unit humains, animaux, plantes, insectes . . . gage de la lumière, de la
chaleur , transmetteur de la parole. . . Plus indispensable que l’eau, la
nourriture , l’alcool, le tabac, la drogue et même l’amour, cet essentiel
dont nous ne pouvons nous passer plus de quelques dizaines de secondes et
pourtant incolore, invisible, impalpable et cependant présent partout. Posez
la question entre vous. C’est l’R, l’air, el aire, o ar, the air, lucht, le
même pour tous, gratuit (sauf l’air conditionné !), air aspiré, bel air, air
chaud, air doux, air expiré, air frais, grand air, air hivernal, air
inspiré, air de joie, air k.o., air liquide, air de montagne, air naturel,
air oxygéné, air purifié, air quantifié, air raréfié, air sain, air tempéré,
air urbain, air vif, air wallon, air de xylophone, air d’y voir clair, air
de zèbre !

Créer à partir de cet essentiel, un véritable airsprit. Quelques bonnes
inspirations au départ d’une réunion, d’un repas pour nous trouver des
raisons d’union, de partage, de vivre ensemble. Des ponts et non des murs.
La gratuité de l’air, d’un regard, d’un sourire, d’une poignée de
main…Allons, la situation est grave mais pas désespérée ! Aérons-nous.

Plus que jamais, brésiliennement vôtre,

2 commentaires Répondre

  • Jacqueline B. Répondre

    Merci, Christian, pour ce récit vivant et coloré de ce merveilleux voyage qui laissera à tes enfants le gout de la diversité, de l’aventure et la conviction de la grande fraternité qui unit les hommes dans leurs différences.

    Mais, quelle santé vous avez tous pour affronter tant d’heures de bus, trains, avions, marche ! Moi, le vieux cloporte qui boite après 4 heures de musée à Paris, je vous crie " Bravo ! Profitez-en bien avec le cœur et les yeux ouverts..."
    Jacqueline B.

  • Marie-Noëlle Répondre

    Merci pour ce récit et ta réflexion finale. Il n’est pas donné à tout le monde de faire un tel périple pour en arriver là, mais tout voyage au coeur de la différence nous pousse en avant.
    Donne-moi de tes nouvelles, en Belgique aussi...

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