Ce texte fait partie du feuilleton de Suzanne Lire l’ensemble

La vie de famille était moins agitée que maintenant. Au début nous n’avions ni téléphone, ni voiture, ni télévision, ni machine à laver, ni lave-vaisselle. Toutes ces choses modernes se sont imposées d’elles-mêmes, et dès que nous les avions, nous ne pouvions plus nous en passer, exactement comme si maintenant nous n’avions pas de télé-commande et qu’il fallait se lever pour “changer de poste” (pas de zapping donc, et d’ailleurs nous avons dû attendre le câble pour avoir un certain choix), ou installer une chaise près du téléphone qu’il n’était pas possible de balader partout dans la maison. Nous n’avons eu la télévision qu’après 1965, je me souviens très bien de l’année parce c’était celle de l’enterrement de Churchill que nous avions été voir chez ma soeur, qui avait déjà cette merveille (encore en noir et blanc, bien entendu).

Je trouvais tout à fait normal de faire d’innombrables lessives dans le lavabo, avec du linge mouillé qui pendait au-dessus de la baignoire, et de donner mes draps à faire au dehors. D’abord ma mère s’en était chargée et puis, l’âge venant, ce n’avait plus été possible. J’ai commencé à les porter chez un blanchisseur, puis dans un des premiers lavoirs ‘automatiques”. A l’époque ils étaient exploités par des gérants qui mettaient les machines en routes et surveillaient leur fonctionnement. Ils acceptaient aussi de laver le linge apporté, de repasser le plat à la calandreuse, emballaient le tout et on venait le chercher. Je n’ai eu une machine à laver qu’après notre départ du Centre Rogier, faute de place dans la salle de bain. Avant ça j’avais acheté un drôle d’instrument, dont je ne rappelle plus nom, qui avait un peu la forme d’une boule de l’atomium monté sur un support. On y mettait le linge, de l’eau chaude (qui heureusement chez moi coulait au robinet), du savon, on fermait hermétiquement le couvercle et on tournait une manivelle qui faisait tourner l’instrument. Le linge était agité dans l’eau savonneuse et on pouvait en laver plus à la fois que dans le lavabo. Après évidemment, il fallait vider la cuve, tordre le linge, remplir la cuve avec de l’eau fraîche pour rincer (au moins trois fois). Progrès suivant : une Mini-Wash et une essoreuse. La Mini-Wash était installée sur une planche au-dessus de la baignoire, remplie d’eau chaude avec le tuyau de douche, elle avait un moteur, on tournait le bouton et elle agitait le linge toute seule pendant 5 minutes ! Après ça on décrochait le tuyau de vidange pour vider la machine dans la baignoire, on essorait le linge, on rinçait (au moins trois fois) et on mettait le linge (à nouveau essoré à la main) dans l’essoreuse électrique. L’essoreuse avait un caractère fantasque. Il fallait que le poids du linge soit bien réparti sur les côtés et qu’il y aie un linge plat pour couvrir le tout et empêcher la moindre pièce de s’échapper sur les côtés, entre le tambour et les parois de la machine. De toute façon elle faisait un bruit d’enfer et dansait sur elle-même quand elle entrait en action. J’en avais une peur bleue. A cause de ces lessives, je me souviens comme d’un cauchemar de mon congé “d’allaitement” après la naissance de Stéphane. J’avais en effet droit à un congé sans solde de trois mois “pour allaitement”, après mon congé de maternité (allaitement ou pas). Alors qu’après la naissance de Françoise et mes six semaines de congé de maternité payé, je m’étais abonnée au service “Poupon-Langes” qui venait chercher les langes sales et rapporter des propres (je me demande ce qu’il est advenu de cette firme !) , le congé sans solde m’obligeait à faire des économies. Je passais donc mes journées à laver des langes, à les pendre au-dessus de la baignoire, et à repasser ceux de la veille pour les stériliser. A l’époque de la naissance de Françoise, on commençait à mettre une protection en plastique au-dessus du lange pour ne pas tout salir mais on le faisait uniquement pour sortir. Il fallait que la peau respire et que le bébé soit changé tout le temps pour qu’il n’aie pas les fesses toutes rouges. On mettait un molleton épais sur le matelas du berceau et on lessivait, lessivait ! Stéphane a commencé à connaître les premiers langes en ouate synthétique qui étaient une simple bande dont on garnissait un triangle en plastique (sans petits plis sur les côtés “anti-fuite” ni “bandes agrippantes”). On ne pouvait d’ailleurs pas l’employer pour les premiers mois.

Il fallait aussi stériliser les biberons en les faisant bouillir et les sortir avec une pince en bois pour ne pas se brûler. La farine qu’on ajoutait au lait ne se dissolvait pas aussi facilement que maintenant. Il fallait secouer longuement le biberon et encore parfois le trou de la tétine était bouché par un grumeau. Les tétines (en caoutchouc) se vendaient d’ailleurs sans trou et il fallait le percer soi-même avec une aiguille chauffée à blanc. Il fallait avoir le coup de main ! Trop petit il ne laissait passer qu’un mince filet de lait et trop grand, le bébé s’étranglait ! Chauffer le biberon était tout aussi aléatoire. Souvent le lait était trop chaud, on essayait avec une goutte sur le dos de la main, et s’il était trop chaud on passait le biberon sous l’eau froide pendant que bébé hurlait.

Personne à l’époque ne s’attendait à ce qu’un père sache langer, laver ou nourrir un bébé. C’était apparemment une science infuse qui ne venait qu’aux femmes. Quand j’ai vu plus tard mon beau-fils et mon fils s’occuper de bébés avec attention, amour et savoir-faire, j’ai été merveilleusement surprise. J’ai remercié intérieurement toutes les femmes qui avaient lutté pour l’égalité dans le couple et instauré l’idée dans la société que les pères pouvaient aussi s’occuper des enfants.

Mais outre le travail d’élever mes enfants, il y avait mes heures de bureau qui, si elles n’étaient pas fatigantes au début, prenaient quand même toute la journée. Il y avait l’appartement à entretenir, je faisais beaucoup de mes robes et celles de Françoise. Je faisais des pulls avec de très grosses aiguilles, des carrés au crochet avec des restes de laine pour en faire des châles et des couvre-lits. C’est amusant de voir comme cette mode “hippie” de ces années-là revient maintenant, mais maintenant il s’agit de “vintage” et de “customiser”.

Il y avait la cuisine à faire, recevoir les amis et la famille. Mon frigo n’avait pas de compartiment “surgelés”, nous ne savions même pas que ça existait (peut-être aux Etats-Unis ?) , juste un petit coin pour mettre un bac à glaçon. Glaçons que je mettais fièrement dans un “seau à glaçons” accompagné d’ une “pince à glaçons”, pince qui a beaucoup servi bien plus tard à transférer les collections de vieux boutons de ma mère d’un pot en plastique à l’autre pour occuper mes petits-enfants.

Tout était donc frais, à éplucher et à préparer. Si mes débuts en cuisine ont été assez pitoyables, je m’améliorais et produisais de bons repas, glanant des recettes à droite et à gauche. Il y en a une que je tiens de Francine, celles des côtes de porc à l’orange qui fait encore baver Françoise ! Il faut dire que les produits étaient bien meilleurs dans ce temps-là et surtout la viande. Les gens n’avaient pas encore l’obsession de la minceur et les steaks étaient entrelardés de graisse ainsi que rôtis et les côtes de veau et de porc. Ca leur donnait un goût et une tendreté qu’on ne trouve plus, toute la viande étant à présent “maigre” et sèche comme une trique.

Un jour j’en eu plus qu’assez. J’engageai une femme à journée. Elle s’appelait Jeanne et venait le samedi matin. J’étais là bien sûr et je travaillais en même temps qu’elle. Elle adorait cirer le parquet mais par contre refusait de nettoyer le lustre en cristal ou les persiennes des fenêtres. Elle passait beaucoup de son temps à me raconter ses malheurs et un beau jour m’annonça qu’elle ne savait pas quand elle reviendrait, elle devait se faire opérer d’ulcères aux jambes. Je n’avais pas envie de renouveler l’expérience et je me dis qu’en m’équipant d’une manière un peu plus moderne, j’arriverais à m’en tirer. J’achetai donc une cireuse électrique et un lave-vaisselle. Impossible d’encastrer le lave-vaisselle sous l’évier, rien n’était prévu pour ça. Il fut donc installé en face, à la place de la table et alimenté par un tuyau relié au tuyau d’arrivée d’eau en-dessous de l’évier. La vidange se faisait par un autre tuyau avec une crosse accrochée sur l’évier. Le lave-vaisselle était donc employé lorsqu’on était sûr de ne plus devoir aller dans la cuisine, avec la porte d’armoire ouverte et les deux tuyaux qui coupaient le passage.

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