Ce texte fait partie du feuilleton de Suzanne Lire l’ensemble

Dans les premiers mois de mariage, je n’eu pas beaucoup le temps de réfléchir. Malgré les conseils prodigués par mon père aux jeunes époux, ma soeur et moi étions enceintes. J’étais tellement innocente, malgré mes airs supérieurs, que j’ai été consulter un médecin pour une constipation tenace qui me donnait mal au ventre et me faisait vomir. Il m’a dit “Mais, Madame, vous êtes enceinte !” Le ciel aurait tout aussi bien pu me tomber sur la tête. Mon cher époux n’en menait pas large, surtout vis-à-vis de son père, qui le regardait avec tout le mépris d’un calviniste pour un chaud-lapin de catholique. Mes parents n’étaient pas contents non plus. Ma mère s’est pourtant mise à coudre des petites chemises en baptiste et je garnis du plumetis bleu ciel de ma robe de dame d’honneur, mon ancien berceau en osier. Je tricotai de la layette (pas de petits ensembles en stretch à cette époque-là) et m’inscrivis à des cours “d’accouchement sans douleur”. J’appris enfin ainsi que j’avais un utérus et un diaphragme sur lequel il fallait éviter de pousser en criant de douleur, parce que ça ne faisait qu’augmenter la douleur. Il fallait au contraire faire des halètements de petit chien pendant les contractions et pousser au bon moment. J’en savais déjà plus que ma belle-mère qui se rappelait le médecin lui disant : “poussez Madame” tandis que ma belle-mère se demandait pousser quoi.

Ma soeur avait eu un garçon au mois de mai (bien sûr nous ne savions pas du tout de quel sexe serait le bébé) et était tellement grosse qu’elle avait dû subir une radiographie pour savoir s’il n’y avait pas deux bébés. Je ne me souviens pas du tout d’avoir été la voir à la clinique ni du récit de son accouchement, si tant est qu’elle l’aie fait. Par contre, je me souviens très bien d’avoir été ravie de l’événement, parce qu’elle allait pouvoir me prêter ses vêtements de grossesse, puisque moi j’ai accouché en septembre. Lorsque j’ai attendu mon fils, dix ans plus tard, elle m’a à nouveau prêté un manteau à double boutonnage dont je ne pouvais boutonner que le bouton du haut, ayant moi aussi un énorme ventre, mais au moins les deux parties se rejoignaient et me couvrait à peu près. Heureusement parce que j’ai accouché fin décembre ! J’avais acheté cette fois-là une robe de grossesse bleu marine, sans manches et avec un boutonnage devant, sous laquelle je portais soit un chemisier, soit un pull. A la fin, j’ai dû défaire les coutures de côté (heureusement à cette époque il y avait encore du tissu dans les coutures) et l’élargir au maximum. Il était temps que Stéphane arrive avec ses 4 kg 200 !

Mais pour le moment c’est Françoise qui arrive, avec 3 kg 750, ce qui n’est pas mal pour une fille. J’accouche à l’hôpital d’Ixelles, je ne sais plus pourquoi, sans doute parce que c’était là que Liliane avait accouché. Certainement pas pour suivre mon gynécologue parce que je n’en avais pas. C’est une infirmière accoucheuse qui s’est occupée de moi, sans aucune gentillesse . D’abord rasage des poils pubiens et lavement. Pendant l’accouchement elle poussait et malaxait mon ventre sans ménagement pour que le bébé sorte plus vite. Une fois l’accouchement terminé, elle a poussé de toutes ses forces sur mon ventre pour faire sortir le placenta et je voyais littéralement les veines qui éclataient sous la peau qui devenait toute bleue. C’est avec le plus grand plaisir que j’ ai vu sortir tout le paquet en trombe et l’éclabousser entièrement de sang !

Il était alors vers 9 h du soir. On m’a roulé dans une chambre alors que j’avais à peine vu le bébé. Les bébés étaient tous réunis dans une nursery et on les apportait uniquement pour la tétée. Toute la nuit au moins un si pas tous les bébés pleuraient et aucune mère ne dormait, s’imaginant que c’était le sien qui criait le plus fort. Tous les matins, l’infirmière de nuit en partant nous mettait un thermomètre en bouche et notait notre température et puis l’infirmière de jour apportait le café et le petit déjeuner (à 6 h du matin). Aussitôt le plateau arrivé, une autre infirmière faisait le tour des chambres en criant “Aux soins, Madame” et nous devions aller au bout du couloir, faire la file dans une salle d’attente, en attendant d’être enduites de mercurochrome. Au retour le café était froid et les tartines encore moins appétissantes qu’à leur arrivée.

Mon souvenir le plus marquant de ce premier séjour à la maternité a été ma rencontre avec une jeune femme, dont la chambre se trouvait un peu plus loin dans le couloir et qui venait voir ma fille, chaque fois qu’elle le pouvait. Elle la trouvait ravissante (ce qu’elle était) et elle enviait mon bonheur. Elle était déjà mère de trois garçons et venait d’accoucher de jumeaux garçons, absolument affreux, tout jaunes (ils avaient la jaunisse des nourrissons) et roux avec ça. Elle habitait une cuisine-cave de la rue Gray, n’avait pas un sou vaillant et un mari maçon qui rentrait saoul tous les samedis soir. Vu sa situation on lui avait prescrit un pessaire occlusif (le nec plus ultra de la contraception à l’époque (inutile de dire que je n’en avais pas entendu parler). Seulement ce n’était pas un truc facile à mettre en place avant les assauts avinés du mari (je le sais, je l’ai utilisé après mon accouchement, le pessaire, pas le mari aviné). Il s’agissait d’une membrane ronde en caoutchouc, entourée d’un bord plus épais, qu’il fallait tendre sur une baguette en plastique, de façon à introduire la membrane jusqu’au fond du vagin. Il fallait alors relâcher la baguette et la membrane venait couvrir le col de l’utérus. Ca ne marchait pas à tous les coups et n’était d’ailleurs plus ou moins sûr qu’accompagné d’une crème spermicide. Ceci expliquant cela elle se retrouvait avec ses cinq garçons. Elle avait expliqué à l’assistante sociale qu’elle n’avait qu’un seul berceau et pensait coucher l’autre dans le landau. L’assistante sociale lui avait dit que le landau n’était pas sain pour dormir et lui avait conseillé, à la grande consternation de ma compagne de maternité, de faire dormir un des deux dans une manne à linge en osier, transformée en berceau avec un matelas en crin traditionnel, etc. La pauvre n’en revenait pas. “Vous vous rendez compte, une manne à linge !”. J’essayais de la consoler en lui refilant les merveilleux raisins de serre apportés par Tante Jeanne (que je ne pouvais pas manger parce que je nourrissais) et des morceaux des gâteaux qu’on m’apportait et que n’arrivais pas à finir. La dernière chose que j’ai su d’elle c’est qu’elle avait demandé une ligature des trompes qui lui avait été refusée parce que le chef de service pensait qu’elle s’en repentirait si elle perdait ses enfants. Cinq à la fois, ça me paraissait peu vraisemblable !

Dix ans plus tard, pour accoucher de Stéphane, j’avais un gynécologue, qui était je pense celui de Liliane. J’ai eu droit à un peu plus de considération, du moins en sa présence. Jusque là j’ai été traitée comme vaguement arriérée mentale. On m’a demandé si je connaissais mon groupe sanguin, et comme je disais oui, on m’a demandé si j’étais sûre. Je leur ai mis ma carte de donneur de sang sous le nez. A la question de savoir de quelle religion j’étais, j’ai dit que j’étais catholique mais que je ne voulais surtout pas voir un curé si ma dernière heure était venue. Très gai ! Le pire a été l’examen de l’infirmière. A ce moment là, comme un fait exprès, plus de contractions ! Air soupçonneux : “vous êtes sûre d’avoir eu des contractions ?” Heureusement, avant qu’elle me renvoie à la maison, j’en ai eu une pas piquée des vers. Elle a donc consenti à me mettre dans une “chambre de travail” accompagnée du futur père. Les contractions étaient de plus en plus fortes et finalement, lors d’une de ses apparitions, elle m’a dit qu’elle allait avertir le docteur qui était en visite chez des amis dans le Brabant wallon. Elle m’a dit que ce serait certainement moins douloureux si elle pouvait rompre la poche des eaux, mais elle ne pouvait pas, c’était un acte médical. Au bout d’une heure, le docteur est arrivé, on m’a transférée en salle d’accouchement, il a rompu la poche des eaux, et au bout d’un temps très long et éprouvant, je l’ai entendu dire “Il ne sortira pas”. J’ai cru que le pire arrivait mais non, il a fait signe à l’infirmière qui est revenue avec une paire de forceps et une fois la tête sortie, le corps a suivi sans peine. Roland qui voyait les choses se passer alors que moi j’étais couchée et ne voyait que le plafond, a jubilé : “c’est un garçon” (ce que nous n’avions toujours aucun moyen de savoir) et puis “et il s’appelle Stéphane” (ce qui était son choix sur lequel nous n’étions pas d’accord). J’étais totalement épuisée. Le gynécologue a déposé le bébé sur ma poitrine et pour la première (et dernière fois) j’ai vu un nouveau-né encore accroché à son cordon. Je n’avais vu ma fille que lavée, habillée et couchée dans un berceau.

A part ça et hors le fait que l’accouchement avait coûté beaucoup plus cher, le régime était toujours le même à l’hôpital d’Ixelles. “Aux soins, Madame” etc. Le premier jour, après un accouchement après minuit, l’infirmière de jour est arrivée et m’a dit de me lever et de me laver. Je me suis levée et comme je vacillai, j’ai attrapé une chaise pour m’asseoir devant le lavabo. Je me suis assise en plein sur les fils qui fermaient l’épisiotomie qu’on m’avait faite, je me suis relevée et je suis tombée dans les pommes, heureusement en travers du lit.

Il m’avait semblé tout naturel de nourrir, comme je l’avais fait pour les premiers mois de Françoise, mais Stéphane perdait du poids (ce qui est normal pour un gros bébé) et les infirmières exigeaient que je le pèse avant et après chaque tétée, pour voir ce qu’il avait pris. Au bout d’une semaine de ce régime, et après mon retour à la maison, où bien entendu rien n’était fait, il n’y avait même pas de quoi nous nourrir (je suppose qu’il pensait que j’allais faire les courses), j’ai été prise d’une crise de baby-blues, je me suis mise à pleurer tout le temps et je n’ai plus eu de lait. Il faut dire que j’avais travaillé jusqu’à la dernière semaine avant l’accouchement, dans le but de garder mon congé de maternité pour après la naissance. Depuis lors j’explique à chaque future maman que si la loi (faite par des hommes) prévoit un congé avant l’accouchement, c’est que c’est vraiment nécessaire. Peine perdue.

S’il y a eu dix ans entre les deux enfants c’est que dans un premier temps, après la naissance de Françoise, je m’étais dit “plus jamais”. Un enfant qui me tombait dessus alors que je n’avais rien demandé, ça me suffisait. Je pris donc la contraception en charge et allai à la seule pharmacie de Bruxelles qui vendait les fameux pessaires. Malheureusement, l’instinct maternel étant ce qu’il est, quelques années après j’ai eu une furieuse envie d’un deuxième enfant. Sept années s’étaient déjà passées et j’avais oublié langes, crèche, maladies, etc. Au début de ma grossesse, en 1969, j’ai attrapé, comme quasiment tout le monde, une terrible grippe, appelée grippe de Hong-Kong. J’ai eu 41° de fièvre et n’ai osé prendre aucun médicament, même pas un Aspro. Nous sortions de l’affaire du Softénon, médicament destiné à alléger ou à supprimer les vomissements et nausées des premiers mois de grossesse et qui avait provoqué une vague d’accouchements de bébés sans bras ni jambes, avec des mains et des pieds accrochés au corps. Une femme courageuse avait décidé de tuer son enfant né comme ça, avec l’aide de son médecin, le docteur Peers. Il y eu un procès retentissant et ils furent condamnés. Le résultat pour moi fut une fausse couche, après que mon médecin aie tout fait pour que je garde l’enfant. Finalement
il m’annonça que le foetus était mort et qu’il fallait procéder à un curetage pour l’enlever. Je suis donc retournée à l’hôpital d’Ixelles pour l’opération. Les infirmières me regardaient sans aménité et me laissaient vomir après l’anesthésie sans le moindre signe de pitié. Ce n’est que le lendemain, quand j’ai expliqué à l’une d’elles ce qui m’était arrivé, que j’ai vu son visage s’éclairer. Je suppose qu’elle pensait jusque là que je m’étais fait avorter et que le curetage en était le résultat. L’avortement était encore à cette époque complètement tabou, quelles que soient les circonstances. Les pauvres employaient des avorteuses armées d’aiguilles à tricoter et les riches allaient se faire opérer en Suisse ou en Angleterre. A la fin du compte j’ai eu de la chance, parce que le médecin m’a dit que s’il avait pu sauver l’enfant il aurait de toute façon été anormal, vu la fièvre que j’avais eue. Quand je me suis rendu compte qu’il le savait depuis le début et qu’il n’en avait rien dit, je l’ai haï. Si je l’avais su j’aurais fait 20 km en courant au lieu d’assister, du fond de mon lit et sans oser bouger, aux bêtises que faisait mon mari en essayant de faire le ménage ! Je dois rendre hommage ici à ma belle-mère, qui est venue tous les jours faire le dîner, qui m’a accompagnée à l’hôpital pour le curetage et qui en même temps à été faire chauffer de la soupe et allumer le poêle chez mes parents, tous les deux au lit avec la même grippe de Hong Kong.

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1 commentaire Répondre

  • mounah Répondre

    En lisant votre histoire, je ne peux pas croire qu’une femme puisse souffrir d’une telle histoire comme la vôtre. Mais à partir de maintenant, je vous encourage toujours pour le bien de vos enfants et prenez soin de votre corps afin qu’un autre enfant ne soit pas né de nouveau. Je vous conseille maintenant de tout oublier et de faire quelques petites choses pour vous faire belle aux yeux de ceux qui vous entourent et surtout de votre mari. Ne songez plus à donner naissance à un enfant, évitez les discussions qui ont à voir avec cela. Essayez de parler et de convaincre votre partenaire de vous accompagner dans un salon de beauté ou une salle de traitement de manucure, comme je viens de le voir sur https://manucure-paris.weebly.com/. Je pense que ça ira et que vous serez très soulagé.

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