Ce texte fait partie du feuilleton de Suzanne Lire l’ensemble

Le lycée a complètement bouleversé ma vie. J’y ai eu des professeurs extraordinaires et j’ai appris à aimer le savoir et la culture. Mais j’y appris aussi une certaine attitude dans la vie, une espèce de code de conduite. Les professeurs l’attendaient de nous, même si certains étaient très doués pour faire passer ce code, et d’autres pas du tout. Je sais bien que mon professeur d’anglais, Mme Clain, le professeur de français, Mme Remy et le professeur d’histoire, Mme Deroisy, m’ont ouvert l’esprit sur tout un monde, qui allait bien au-delà des cours. Elles donnaient quasiment des leçons de civilisation. Elles et les autres nous ont appris à ouvrir les yeux, à réfléchir, à lire des livres pour nous former. Nous allions aussi aux “Matinées classiques” organisées par certains théâtres, pour y voir les pièces de Molière, Racine et Corneille. Il me semble même que nous avons un jour été au Théâtre flamand pour voir une pièce jouée en anglais par une troupe invitée, sans doute. Même les heures les plus affreuses, comme celles de math ou de gymnastique, font partie maintenant de mes chers souvenirs. Je ne comprenais rien du tout à l’algèbre et à la trigonométrie, seule la géométrie m’intéressais (ma nature terre à terre, sans doute). Je me souviens même avec émotion du professeur qui était censé nous enseigner l’histoire naturelle et celle qui était censée nous enseigner l’allemand, et qui ne nous enseignaient rien du tout, parce qu’elles étaient incapables de maintenir la discipline et que nous profitions de leur cours pour réviser les autres. La pauvre prof d’allemand était la plus mal lotie. Longue et maigre et lançant des postillons (personne ne voulait s’asseoir au premier banc), je la vois encore se plaignant de ce que des élèves avaient collé une fausse araignée sur son manteau en teddy, et que la note du teinturier avait été salée. Un jour la corde d’un tableau noir, qui le faisait monter et descendre au gré du professeur, avait lâché et le tableau était tombé avec un bruit d’enfer. Elle était persuadée que nous y étions pour quelque chose et pour une fois ce n’était pas vrai. Inutile de dire que je n’ai jamais appris un mot d’allemand, d’abord j’avais horreur de cette langue et ensuite je m’en tirais toujours en trichant.

J’avais particulièrement horreur de la gymnastique. La seule gym que j’appréciais était de me balancer sur ma chaise, en m’appuyant à la table de la cuisine, tout en lisant mon bouquin, ce qui était d’ailleurs formellement interdit par ma mère. Le fait de devoir marcher en équilibre sur une poutre étroite fixée à au moins un mètre du sol, ou en arrière sur la poutre inférieure d’un long banc fixé dans les espaliers, me terrifiait et en plus me paraissait stupide. Je n’ai jamais été capable de monter même d’un cm le long d’une corde et j’ai carrément refusé de continuer à sauter sur la “bome” en essayant de faire un cumulet, lorsque je me suis écroulée et fait rudement mal à la nuque. Les jeux de balle ne m’intéressaient pas, j’étais juste bonne à envoyer une balle fracassante de l’autre côté du filet au handball parce que j’étais grande. D’ailleurs plus tard, les rares fois où j’ai joué au tennis j’employais (sans le vouloir) toute ma puissance à envoyer la balle par dessus les grilles du court. Bref, j’étais nulle. Il y avait un moyen d’échapper au cours de gym , il suffisait de dire qu’on était “indisposée”, mot convenable pour dire qu’on avait ses règles. Mais la prof de gym notait les dispenses dans un carnet et savait compter jusqu’à 28 ! Je suppose que j’ai toujours eu mes points en gym en considérant que ce n’était pas de la mauvaise volonté et que par ailleurs j’étais bonne élève !

Je n’aimais pas non plus le cours de sténo. C’était un cours à option, comme la dactylographie. Evidemment je le suivais, il pouvait être utile plus tard pour le travail. Je détestais apprendre un tas de signes cabalistiques qui abrégeaient les syllabes et dont il fallait retrouver le sens par après. En plus je n’aimais pas le prof. Par contre apprendre à écrire à la machine me passionnait. Nous apprenions à écrire avec dix doigts, il fallait retenir l’emplacement des lettres sur le clavier par coeur, nos mains étant cachées par une construction en bois : un “cache-clavier”. Pour nous aider, mon parrain nous avait donné sa vieille Remington avec sa table de dactylo qui est encore dans ma chambre maintenant, la Remington a disparu, la machine à coudre la remplace. Dans le tiroir de cette table, il y a des divisions qui permettent de ranger le papier à écrire, le papier carbone et le papier pelure pour les copies. Il y a aussi un espace pour ranger la gomme machine (qui était ronde , plate et dure), une gomme plus douce pour gommer les copies, un cache qui isolait la lettre à gommer, les rubans de rechange (ruban noir, mais plus souvent ruban noir au dessus et rouge en dessous, il suffisait d’appuyer sur une touche pour taper en noir ou en rouge), les brosses pour nettoyer les caractères et dépoussiérer la machine. Lorsque le ruban de la machine était usé et ne déposait plus d’encre sur le papier, il fallait en changer et ce n’était pas facile à faire. Il fallait enlever l’ancien ruban (d’où noir sur les doigts), accrocher le nouveau sur la bobine en faisant attention à ce que, lors de son placement, le noir soit au-dessous et le rouge au-dessus (d’où re-noir sur les doigts). Il fallait ensuite installer la bobine qui dévidait le ruban et celle qui le recevrait en passant par une partie métallique munie de fentes qui maintenaient le ruban en place pour que la touche appuie dessus et imprime une lettre sur le papier (re-re-noir sur les doigts). Les touches de cette machine et d’ailleurs de celles que nous avions au lycée, étaient rondes et entourées d’un petit rebord protubérant en fer, ce qui était mortel pour les ongles longs et vernis. Nous devions apprendre à taper vite, un diplôme de dactylographie s’établissait en “autant de mots à la minute”, mais ce n’était pas facile parce que les touches qui supportaient les lettres et qui frappaient la feuille, s’emmêlaient lorsqu’on allait vite et tout allait de travers. De plus, à chaque fin de ligne, il fallait faire revenir le chariot de gauche à droite pour commencer la ligne suivante, là aussi il fallait aller vite. Etre dactylo à plein temps était un métier dur à l’époque, mais j’en reparlerai.

Pendant les trois premières années, nous avions un cours de dessin, où je me débrouillait plutôt bien. J’avais un joli coup de crayon. J’ai eu mon petit succès, plus tard, dans les classes supérieures, parce que j’avais un certain don pour faire des caricatures des professeurs au tableau, entre les cours. C’était plutôt dangereux, il valait mieux effacer les traces avant que la victime entre dans la classe !

Au début de la deuxième année, ma soeur vint me rejoindre. Elle avait la chance de connaître déjà quelqu’un mais d’un autre côté elle avait des compagnes de classe moins sympathiques. Elle était d’ailleurs souvent fourrée avec moi et ça m’embêtait. Je préférais rester dans mon univers de “grande”.

A la fin de ma troisième année, j’aurais dû normalement quitter le lycée et chercher du travail. Heureusement, la préfète avait eu vent de la décision de ma mère et l’avait persuadée de me laisser jusqu’au bout des humanités, faisant valoir que dans l’Administration, je pourrais prétendre à un emploi de rédacteur au lieu d’un emploi de commis, moins rémunéré. Pendant trois ans nous avons eu droit régulièrement au rappel des sacrifices qu’on faisait pour nous et au “manque à gagner” que cela représentait. Lorsque la fin de la dernière année approcha, ce fut un déchirement pour moi. J’aimais tellement les études et je n’avais pas la moindre envie d’en terminer là, mais c’était comme ça. Liliane allait encore faire une école de secrétariat et moi j’entrai comme sténo-dactylo à la Société Générale, en attendant d’être en ordre utile dans la réserve de recrutement de rédacteurs à la Commune de Saint-Gilles, où j’avais réussi l’examen.

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