Ce texte fait partie du feuilleton de Suzanne Lire l’ensemble

Ma mère tenait très fort à notre réputation dans le quartier. Nous ne pouvions pas jouer à la rue, c’était pour les enfants mal élevés. Nous étions toujours habillées décemment, au prix d’innombrables heures de travail passées à découdre des vêtements reçus, en général de Marraine Emilienne, et à en refaire des robes pour nous. J’ai longtemps porté une jupe à bretelles faite dans une vieille capote de mon père. Ma soeur était toujours enchantée quand j’avais une robe neuve, parce qu’elle contenait la promesse qu’après elle serait pour elle. Je ne me souviens que de deux robes faite à partir de tissu acheté dans un magasin. La première était écossaise avec des plis et un col claudine en tricot d’art et ma soeur avait exactement la même. La deuxième était celle de notre communion et du “deuxième jour”. En ce temps-là le lendemain du dimanche de communion solennelle, il y avait encore des cérémonies et on portait un ensemble très habillé. La robe était en crêpe de laine très fin, de couleur beige, avec des plis verticaux couchés et repris dans la “pièce plate” (haut du corsage) et dans la ceinture. Le haut de ces plis était brodé d’un galon au point de croix vert. Nous avions un manteau de lainage vert “petit pois” (qui plus tard s’est transformé en jupe), un chapeau, de nouvelles chaussures, de belles chaussettes et un sac à main. En plus nous avions chacune une montre, cadeau de communion. Ma mère avait décidé que faire les robes de communion elle-même était trop risqué, ne se voyant pas déployer des mètres d’organdi dans la cuisine. Nous avions donc été les acheter rue Haute et on avait dû rallonger la mienne en ajoutant quelques plis religieuses dans le bas. Ca m’a très bien arrangé plus tard puisque j’ai eu assez de tissu pour faire les robes et les bonnets de baptême de mes petites filles.

Ma mère tricotait aussi beaucoup. Lorsqu’un pull était devenu trop petit, elle le défaisait , en faisait des écheveaux en tournant la laine autour du dossier d’une chaise et lavait la laine pour en enlever la marque du tricotage précédent. Il s’agissait ensuite d’en refaire des pelotes, l’une de nous tenant l’écheveau tendu entre deux mains et l’autre faisant la pelote. On assemblait alors des restes de laine pour faire un nouveau pull. Je me souviens d’un gilet boutonné devant, rayé beige et brun, que je détestais et que j’ai dû mettre longtemps. Nous avions aussi chacune un bonnet de laine à pompons que nous trouvions toutes les deux ridicule. Comme c’était à l’époque où nous allions à pied au lycée, nous l’enlevions et le cachions dans notre cartable dès que nous avions tourné le coin de la rue de Serbie, au moment où notre mère ne nous voyait plus du pas de sa porte.

Le comble du ridicule a cependant été atteint lorsque nous étions à l’école des soeurs. Les hivers étaient très froids à l’époque et nous avions d’ailleurs régulièrement des gerçures et des engelures aux mains, qu’il fallait soigner avec de la vaseline. Au cours d’une période particulièrement froide, nous avions été autorisées à porter un pantalon mais en-dessous d’une jupe ! Le conformisme catholique étant ainsi respecté, nous avons eu moins froid aux genoux (les “collants” n’existaient pas).

Les chaussettes, les gants et les écharpes étaient aussi tricotés maison. Au bout d’un certain temps, les chaussettes étaient ravaudées à l’aide d’une longue aiguille et d’un oeuf en bois qu’on glissait dans la chaussette à l’endroit à réparer. Cet oeuf est maintenant chez Françoise et porte la marque des innombrables aiguillées qu’il a vu passer.

Nous suivions tous ces travaux et participions à certains, comme le raccommodage des chaussettes. Nous recevions des chutes de tissus et en faisions des robes pour nos poupées. J’entends encore ma mère me dire, comme je coupais des pièces :”coupe pas dans ton tablier !” Car nous avions un tablier que nous mettions par-dessus un vieux pull ou une vieille blouse (il n’y avait pas de “T shirt”). Ils étaient en vichy et c’était bien sûr ma mère qui les confectionnait. Toute notre vie à la maison se passait en “tablier” qui en fait avait la forme d’un cache-poussière sans manches. Ma mère avait un vrai tablier, avec une bavette et des bretelles, bien couvrant et avec une poche pour son mouchoir. Nous passions ainsi de nombreuses heures à apprendre à coudre, à réparer, à tricoter, à broder. Il n’était pas question que notre mère nous montre trente-six fois comment faire, il fallait comprendre tout de suite. Cet enseignement était d’ailleurs complété à l’école, où nous avions des “marquoirs” à confectionner, ces “marquoirs” servaient à apprendre les points de couture principaux et à apprendre à réparer en mettant des “pièces”. En arrivant à l’école des soeurs, en quatrième année primaire, Soeur Benedicta qui enseignait dans cette année-là, s’apercevant que je ne me débrouillais pas mal, m’avait mise à la broderie d’une nappe d’autel. Il s’agissait de broder des grappes de raisins au point de tige, ce qui n’est pas facile parce que le point de tige est parfait dans les lignes droites, mais plus la ligne est courbe, plus il est difficile de suivre le dessin en gardant un point impeccable. Je me souviens en plus m’être interrogée, moi qui venait de l’école communale et qui n’avait aucune éducation religieuse, pourquoi il fallait broder une nappe d’”hôtel”. Mon franc a mis longtemps à tomber. Même au lycée nous avions encore un cours de “travaux manuels” où nous devions tricoter des chaussettes. C’est d’ailleurs pour ce cours que j’ai eu la seule “retenue” de ma vie. J’avais oublié “l’essuie” qui devait obligatoirement entourer l’ouvrage et j’ai passé une après-midi à l’école à faire une rédaction sur les vertus de l’ordre.

Je n’ai jamais eu les capacités de ma mère pour la couture mais j’étais quand même capable à 18 ans de me faire une robe, chose beaucoup plus compliquée que maintenant. Il y avait des “pinces de poitrine”, le montage des manches et du col, les boutonnières à la main. Tout était épinglé, faufilé, essayé, afin de suivre exactement les lignes du corps. J’avais fait aussi une jupe en biais. Il s’agissait de couper deux demi-cercles de tissu, dont la plus petite circonférence était à la mesure de la taille, de les assembler et de les reprendre dans une ceinture, non pas élastique mais à la juste mesure, de coudre la tirette, les agrafes et de faire l’ourlet.

Quand je vois les assemblages bizarres qui sortent des écoles de couture renommées aujourd’hui ou qu’on voit dans les défilés, je me dis que sans doute tout un art s’est peut-être perdu. Je dis peut-être parce qu’en voyant les robes portées par des princesses (c’est pour ça que je suis une fan de “Place Royale” et des mariages princiers) je retrouve un art de la coupe, de la couture et de la broderie qui font mon enchantement.

J’ai été voir à Paris les robes et les manteaux qu’avait portés Jackie Kennedy, je vais voir tous les musées de la mode et du textile que je trouve. Le plus étonnant a été une exposition à Londres où l’on voyait le parti que les Anglaises tirait de tout et n’importe quoi pour se faire des robes pendant la guerre. J’ai même vu des robes tricotées en ficelle ! Un patron officiel avait été imposé de façon à employer le moins de tissu possible et les mêmes procédés étaient employés que ceux que j’ai connu dans mon enfance, pour allonger les robes alors que les gamines n’arrêtaient pas de grandir. J’ai eu une robe écossaise, rallongée d’une bande unie, puis d’une autre bande écossaise. Cette exposition avait lieu à l’Imperial War Museum et je m’étais dit que ce ne serait pas trop pénible pour Stéphane puisqu’il y avait tout le reste du musée (avions, chars, etc). Mais il avait été intéressé et alors qu’il m’a vue regarder avec envie une affiche dans le métro londonien, annonçant une exposition Dior, que je n’osais même pas rêver de lui proposer, il a eu l’instinct de le proposer lui-même. Ca m’a fait extraordinairement plaisir.

Les plus belles robes que j’ai vues étaient cependant celles de la princesse Liliane de Réthy, exposées chez Edouard Vermeulen avant leur vente. Je n’ai aucune sympathie pour la personne mais elle avait un goût superbe. J’ai vu là des créations de grands couturiers merveilleuses et impérissables. Sa fille Marie-Esmeralda a d’ailleurs porté l’une de ces robes lors d’un mariage royal et elle était aussi éblouissante que lors de sa création, vingt ou trente ans auparavant.
Lorsque j’étais adolescente la mode était aux robes ajustées sur la poitrine et à la jupe à godets soutenue par de nombreux jupons. Nous avions des soutiens-gorge à balconnets, des gaines et des porte-jarretelles, des bas nylon qui filaient à la moindre occasion (d’ailleurs on les enfilait avec des gants pour ne pas les égratigner avec les ongles) et qui avaient une couture à l’arrière. Cette couture devait rester bien droite et nous passions notre temps à regarder si elle le restait . Dans le cas contraire, il fallait trouver un endroit caché pour refixer ses bas. Nous ne sortions jamais sans gants, blancs en été, même pour aller lycée. Nous avions quasiment toujours un foulard sur la tête, pour empêcher notre savante coiffure crêpée de se défaire et personne n’aurait jamais envisagé d’aller à une quelconque cérémonie sans chapeau.

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4 commentaires Répondre

  • patou Répondre

    En vous lisant, une foule de souvenirs me sont revenus..... le pantalon sous une jupe( la plus grande honte de ma vie), les robes de ma mère que l’on décousait et refaisait pour nous.
    La première robe achetée pour notre communion..... les travaux d’aiguilles à l’école....... nostalgie nostalgie.

    • le bren Répondre

      Comment s’appelait la tenue de communion selennelle , robe blanche avec jupon plus coiffe et voile, des années 50,60 ?

    • philippe Répondre

      je desire acheter une aube blanche a capuche

  • Françoise Répondre

    Bonjour, Suzanne, nous sommes toutes deux liègeoises et, certainement, contemporaines.
    Je peux évoquer les mêmes souvenirs de gants blancs, de pantalon enfilé sous la jupe d’uniforme, de lainage détricoté qui frise, de robe rallongée d’une bande de tissu plus ou moins assorti, de napperon brodé au point de tige ou au point de croix...
    Et il est curieux que le vêtement dont on se souvienne le mieux soit celui que l’on détestait tant !
    Pour moi, c’était un maillot de bain. Il avait été tricoté dans une laine brune de réemploi. Il s’attachait autour du cou par une cordelière. Sur la bavette ainsi formée, des rayures jaunes et un motif en jacquart censé représenter une abeille : il me semblait malgré cela bien tristounet. Et qu’il me grattait lorsque la laine était mouillée ! Quand je ressortais de l’eau, le tricot alourdi s’étirait... s’étirait...l’élastique de la taille se distendait...la culotte descendait... et je me retrouvais les fesses à l’air...

    Merci, Suzanne, de m’avoir procuré le plaisir de ces réminiscences.

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