Sept.1948 - Nov. 1951

En sept.1947, à l’âge de 11 ans, j’entre en 7ième préparatoire au Collège M.T. à H..
En juillet 48, malgré mon accident de fin d’année, je termine l’année scolaire à la 3ième place sur 22 élèves. En sept. 48, j’entre en 6ième latine (1ère secondaire d’aujourd’hui). Tout porte à croire, comme l’on dit, que je vais faire un brillant parcours scolaire. (qui vivra verra)
J’entre dans la classe de Mr l’Abbé G.M. Il est titulaire de 6ième latine depuis 1905 et sans discontinuer. Il a eu notamment comme élève, mon oncle Antoine puis mon père, un frère de ma mère et tout récemment mon frère aîné, tous obtinrent des résultats supérieurs ; il n’y a donc aucune raison qu’il en soit autrement pour moi.
Pourtant dès la rentrée, je me sens mal à l’aise, il y a toujours cette timidité excessive qui depuis ma plus tendre enfance me paralyse, je suis très lent et vite essoufflé et depuis mon accident (fracture ouverte du crâne) je ressens une plus grande fatigabilité encore. De plus la classe est forte de 65 élèves et un groupe aussi grand me fait peur ; je ne me souviens pas avoir eu de nouveau véritable ami en plus des quelques condisciples connus l’année précédente.
Le latin me paraît être du chinois ; ma compréhension est lente et les choses vont vite. Vu le nombre d’élèves, nous assistons surtout à des cours ex cathedra. Le professeur, le plus souvent assis derrière son pupitre placé sur une estrade d’une hauteur de 3 marches (60 cm) parle et parfois suit dans le livre que nous avons tous, je suis souvent distrait et quand je m’en rends compte je ne sais plus ou l’on en est. Cet état de fait m’est très pénible, j’en souffre mais n’ose en parler. La quantité des devoirs à domicile est impressionnante. Le matin et le soir, il y a cette marche de plus ou moins 35 minutes. Il faut se lever tôt pour arriver au collège pour la messe de 7h30. Les nuits sont courtes et la fatigue aidant, je serai souvent absent en fin du trimestre.
A Noël, les résultats ne sont pas bons. (Pour réussir il faut, si mes souvenirs sont bons, 60% au total et en latin, 50% dans toutes les autres branches). Mon bulletin révèle un petit échec en latin et un gros en flamand. J’ai d’ailleurs pas mal d’ennuis avec l’Abbé J.S., le titulaire de ce cours. Il est jeune prêtre et originaire du Limbourg, j’apprendrai plus tard que dans ce Collège francophone, il est, de ce fait complexé, et pas vraiment intégré dans le corps professoral. Moi, je le trouve faux et injuste, il semble favoriser les plus forts, ceux qui parlent déjà flamand et rejeter les plus faibles. Ainsi, après quelques cours seulement, il désigne les places à occuper dans la classe, et ce, selon les résultats obtenus aux premières interrogations. Les élèves qui ont les meilleurs résultats, sont placés à l’avant et les plus faibles à l’arrière. Dans le fond de la classe, on ne l’entend pas ou mal ; son écriture, au tableau, est de petite taille et souvent illisible et "Monsieur l’Abbé J.S." n’aime pas être interrompu par un mauvais élève. Il distribue plus de punitions que d’instructions. Il ignore les élèves des dernières rangées de bancs ; pour eux, participer au cours est presque impossible. Après Noël, il commente les résultats et en profite pour casser du sucre sur le dos des plus faibles, il les humilie et se moque d’eux.
Exaspéré par ce manque de respect : je me lève, et, la colère me donnant la force de surmonter ma peur et ma timidité je vocifère quelque chose du genre : " si on n’apprend rien, c’est à cause de toi : c’est toi le pauvre type" (terme qu’il utilise lui-même sur nous) et me rassieds tout tremblant, la tète basse ne sachant vraiment pas comment j’ai osé dire cela. Il règne sur la classe un silence de mort. Je relève les yeux, je vois le professeur rouge de rage ou de colère descendre dans la classe (notez que c’est peut-être la 1ère fois que cela arrive). Je crois qu’il vient vers moi, je prends peur, me sauve par l’autre allée et sors de la classe, laissant la porte ouverte ; il arrive à la porte, s’arrête, nous sommes face à face, mais à une certaine distance ; il grommelle quelques mots en flamand que je ne saisis pas, puis en français, il ajoute : "tu es le pot de terre contre le pot de fer", il claque la porte et je l’entends réclamer le silence. Je tremble tellement que cela m’en est douloureux ; je m’affale dans le couloir pleurant à chaudes larmes. Ce cours, était pour nous le dernier de la journée.
Je ne sais plus très bien comment, le cours terminé, j’ai récupéré mon cartable et mes effets, mais je sais que je suis rentré chez moi avec mon frère comme si de rien n’était. Le cours suivant Mr l’Abbé J.S., me donna dès le début du cours une punition que je devais faire pendant le cours ce qui m’empêchait de le suivre. Malgré les injonctions j’essayais quand même de suivre le cours. S’en apercevant, il descendit dans la classe, ce qu’il ne faisait jamais auparavant, il voulait me prendre mon livre ou mon cahier, mais il n’y arriva pas. "Si tu ne fais pas ta punition je te mettrai en retenue". Pour échapper à cette sanction, je fis ma punition et lui remis à la fin du cours. Le samedi suivant lors de la distribution des bulletins hebdomadaires quelle ne fut pas ma surprise de constater que j’avais quand même un "4", ce qui entraînait une retenue. Je dis : " mais ce n’est pas juste j’ai fait ma punition et j’ai ensuite ce "4". Dépité, dans un geste incontrôlé, je déchirai mon bulletin en quatre morceaux et le jetai vers mon titulaire.
Rentré chez moi, mon père me réclama mon bulletin que je ne pu fournir, contraint de m’expliquer, je lui fit part de l’injustice dont j’étais victime et ma réaction qui m’étonnait moi-même. Mon Père, craignant plus, je pense, pour sa réputation que pour la mienne disait et répétait : "quelle honte pour un instituteur de savoir son fils renvoyé du Collège". Il m’obligea à y retourner sur le champ et sans manger. C’était l’hiver, il gelait et les routes étaient enneigées. Il me dit : "t’iras t’agenouiller devant Mr l’Abbé M., tu lui demanderas pardon et tu ne te relèveras que quand il t’y autorisera". Et comme je connais bien Mr M., je saurai si tu l’as fait.
Vers 18h30, je pénètre dans le bureau de Mr M. qui est assis à sa table de travail, un cahier devant lui et le porte plume à la main. Ebahi de me voir, il n’eut pas le temps de dire un mot, comme promis à mon père, je me jetai à genou à ses pieds et tète baissée lui demandai pardon. Il me releva promptement et me dit : "mais qu’est ce qui vous a pris". Il me fit asseoir et m’apprit qu’il avait tenu Monsieur le Directeur au courant de mes agissements déplacés. Je crus qu’il avait les larmes aux yeux. Il ajouta : "Mr le Directeur pense que ce que vous avez fait mérite un renvoi définitif".
Mr l’Abbé G.M. était grand de taille et d’un extérieur aussi sérieux que froid, mais, tout à coup il me paraissait être d’une grande bonté. Je crois qu’il me portait une affection certaine, comme par ailleurs, à tous ses élèves, bons ou mauvais, peu ou plus intelligents. J’implorai sa miséricorde non tant pour moi mais surtout pour mon père. Ma demande semblait le bouleverser. "Comment se fait-il que vous, si intelligent, ne réussissiez pas mieux", questionna-t-il. Je me mis à pleurer en tentant de lui expliquer le mal être que je vivais au cours de flamand. Il m’écoutait avec attention et ne pouvait cacher son embarras et semblant désappointé, m’arrêta très rapidement et sans autre forme de procès dit : "rentrez au plus vite chez vous". Le lundi, je fus retiré des premiers rangs par la main ferme du Directeur, qui dès l’entrée dans son bureau, me sermonna sévèrement, se demandant ce qui m’avait pris samedi sans toutefois me questionner, il me dit qu’une punition en rapport avec les faits me serait donnée par mon titulaire. Il me fit attendre le début du cours de flamand et me ramena en classe. Feignant d’ignorer le comportement répréhensible du professeur, il me fit installer à une place libre à la 3ième rangée. J’y restai jusqu’à la fin de l’année mais je continuai à être ignoré.

En septembre 49, je recommence ma 6ième latine qui est dédoublée, vu le nombre important d’élèves et l’âge avancé de Mr L’Abbé G.M. . Je suis inscrit en section B, j’ai un nouveau titulaire et un autre professeur de Flamand. Je réussis moyennement l’année, malgré l’étiquette infamante de doubleur qui est rejeté et parfois la risée de certains condisciples.
En septembre 50, j’entre en 5ième latine, c’est encore une dure année que je termine avec un résultat juste satisfaisant.

En septembre 51, j’entre en 4ième latine et tout comme trois condisciples je suis reçu par le titulaire comme doubleur. Comme mise en valeur ça commence bien. Ce titulaire à l’instar du prof. de flamand est sans doute aussi déçu ou mal dans sa peau. On doit le supporter une 20aine d’heures par semaines. De plus, il est brouillon et désordonné et nous fait régulièrement savoir que pour une 4ième il y a vraiment trop d’élèves. Pour moi, les choses ne se passent pas bien et en novembre, je suis éjecté pour de bon.
Ils ne me mirent cependant pas à la porte, mais prièrent mon père de me reprendre, il éviterait ainsi l’humiliation d’avoir un fils renvoyé.

3 commentaires Répondre

  • Répondre

    31 octobre 2009 à 21h58min /
    rien n’a vraiment changé, je vous invite http://inspectionscolaire-en-cf.skyrock.com/

  • Shanti Répondre

    Je suis d’une autre génération, et durant ma scolarité, je n’ai cessé de sécher les cours, râler ou tenté de desespérer mes profs (je sais, cela peut paraître idiot mais à cette époque ma liberté n’avais pas de prix).
    Au lycée, j’étais interne et il paraît qu’on est pas sérieux quand on a 17 ans.
    J’avoue avoir jubilé à la lecture de votre insurrection face à ce professeur tortionnaire, votre conscience d’enfant ne pouvant tolérer la méchanceté gratuite de cet adulte. Combien de fois n’ai-je pas moi-même "craqué" face à l’injustice !
    J’espère que vous êtes remis et toujours à jour pour vos déclinaisons ! (rosa, rosae, rosam...)
    à bientôt...

  • jean Nicaise Répondre

    Votre histoire m’a ému. Je m’étonne que de telles pratiques aient encore eu lieu en 1951. Avec de vrais maîtres aimant leur métier et les adolescents, vous auriez fort probablement réussi votre cursus scolaire. J’ai eu un bon instuteur dans une école paroissiale, mais il avait des méthodes répressives peu chrétiennes. Par exemple certains punis devaient se mettre à genoux sans s’appuyer sur les talons. Parfois, ils devaient s’agenouiller sur une règle ou porter un poids à bout de bras ! En dehors de ces tortures, les gifles pleuvaient. Je n’aurais pas osé me plaindre à mon professeur de père. Mais c’était dans les années 1920 !
    Dans le scondaire officiel, j’ai eu de remarquables professeurs flamands en anglais et en néerlandais auxquels je voue une reconnaissance éternelle. MM. Aspeslagh et Buysse que je prends toujours plaisir à citer. Je trouve dommage que les lois linguistiques ne permettent plus aux Flamands d’enseigner leur langue maternelle en Wallonie et aux francophones de le faire en Flandre.
    Jean Nicaise

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