C’était en 1954. J’avais 18 ans et j’attendais avec impatience ma convocation pour « passer mes trois jours au petit château. » C’était l’expression consacrée, à l’époque, pour désigner le centre de recrutement de l’armée et les examens indispensables avant l’entrée au service militaire. J’avais interrompu mes études et décidé de devancer mon appel. J’étais donc disponible. Ce que n’ignorait pas notre voisin et vicaire de la paroisse de surcroît.
Ce jour-là, on devait être à quelques jours du 6 décembre, il vint me trouver. « Je suis dans l’embarras, me dit-il, car j’ai promis aux sœurs du Sacré Coeur de Mons de faire Saint Nicolas pour les enfants de leur école et je ne puis malheureusement pas tenir ma promesse. Pourrais-tu me remplacer ? » Devant mon air incrédule et paniqué, il s’ingénia à me convaincre que ce n’est qu’une formalité dont j’étais bien capable d’assumer la relève, de plus je lui ôtais une fameuse épine du pied.
J’acceptai en lui disant bien que je ne l’avais jamais fait, que je n’étais pas sûr d’être à la hauteur, que ma famille était connue de cette école puisque mes sœurs y avaient fréquenté les cours. Il balaya mes objections d’un grand sourire, d’une tape amicale sur l’épaule en me disant : « Tu feras sûrement aussi bien que ton papa ! »
Mon père, en effet, était coutumier de la fonction et opérait tous les ans à la fête de l’école primaire de notre village.
Les braves sœurs, mises au courant du remplacement, poussèrent d’abord les hauts cris : « Vous n’y pensez pas ? Un étudiant de 18 ans ? Ce rôle est très sérieux et ne peut être pris à la légère. Que diraient les parents si un incident venait gâcher la fête ? » Je ne sais quels arguments utilisa le brave abbé pour les convaincre, toujours est-il que je fus convoqué pour le grand jour à Mons.
Devant l’immense bâtiment, je me sentais impressionné mais il m’était impossible de reculer. La sœur portière me fit entrer et ce fut la première série de recommandations : on ne devait pas me voir d’où nous allions passer par un itinéraire compliqué, escaliers, couloirs de plus en plus sombres, portes dérobées pour aboutir, enfin, dans une chambre où m’attendaient la Mère supérieure et une sœur chargée de m’habiller. Deuxième série de recommandations : « Si nous avons accepté de vous voir tenir ce rôle, me dit la Mère, c’est en souvenir de vos sœurs qui étaient d’excellentes élèves, j’espère que vous vous montrerez digne d’elle. »
Commença alors l’habillage. Le costume rutilant, la perruque immaculée fixée sur un bonnet de coton qui enserrait complètement ma chevelure naturelle, la barbe bien fournie attachée grâce à un système très complexe d’élastiques. Tout était prévu jusqu’au moindre détail. Et tandis que la sœur enfonçait des épingles avec cette recommandation : Si je pique trop loin, dites « Aie ! », pendant ce temps, la Révérende Mère m’expliquait ma tâche par le menu, entrecoupant chaque phrase de mises en garde du type : « Surtout ne soyez pas « student », c’est très sérieux »
Enfin, le grand moment arriva. Précédé de six anges, des jeunes filles tout de blanc habillées et dont le dos s’ornait d’ailes impressionnantes, le grand Saint fit son entrée dans une immense salle où l’attendaient une cinquantaine d’enfants mais aussi les parents, toutes les sœurs, la larme à l’œil.
Tout se passa très bien, mis à part que le patron des enfants sages n’avait d’yeux que pour l’un de ses anges, une fille très jolie aux longs cheveux blonds.
La supérieure, soulagée, me félicita, me remit le salaire de la peur : une boîte de pralines et un paquet de cigarettes.

Depuis, je ne compte plus les années où j’ai revêtu le costume. Et même, cela pourrait figurer au livre des records, mon père, mon fils et moi avons coiffé la mitre la même année : trois générations de Saint Nicolas.
C’est, en tout cas, une joie chaque fois renouvelée de voir ces regards d’enfants, mi confiants mi inquiets mais si heureux de cette rencontre magique.

Dadu

1 commentaire Répondre

  • JourdanHardy Répondre

    Bonjour,

    Merci pour cette histoire très intéressante. Oui, c’est vrai qu’il faut bien une première fois à tout et vous avez pris une bonne initiative en acceptant de rendre service à autrui. D’autant plus qu’effectuer des tâches qui ne figurent pas dans notre domaine de compétence est assez difficile à accomplir.Je vous admire grâve à votre dévouement et à votre courage ! Pour être franc, la seule chose que je maîtrise vraiment c’est de prendre des photos avec l’appareil photo que j’ai trouvé sur Weetix.

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