Ce récit est extrait du projet "Je raconte ma vie" dans un groupe multiculturel à la Fonderie en 2018

En résumé …

Mohamed naît à Souk Ahras (Algérie) en 1947. Il est l’aîné de 7 enfants. Quand il est tout petit, son père emmène la famille dans sa région natale, à Touggourt, dans le sud algérien.
A 7 ans, le petit garçon connaît la guerre d’Algérie.
En 1962, année de l’indépendance de l’Algérie, Mohamed quitte Touggourt parce qu’il n’a plus la possibilité d’y continuer ses études secondaires. Son père l’envoie en France, du côté de Grenoble, dans les Alpes. Il continue donc ses études en internat.
Mohamed fait ensuite des études de médecine et devient médecin, après quoi il se spécialise en chirurgie.
Après un bref retour en Algérie, il travaille et vit en Arabie Saoudite pendant une vingtaine d’années et y élève ses enfants.
A 55 ans, Mohamed va vivre en Amérique où ses enfants habitent encore aujourd’hui, puis il retourne en Algérie en 2008.
Il quitte l’Algérie pour venir en Belgique fin 2013.
Ici, Mohamed a créé une association (Amal Belgika) pour laquelle il donne des cours de français.

Mon enfance en Algérie

« Je suis né en 1947 à Soug Ahras, dans l’est algérien, près de la frontière tunisienne. Mon père était enseignant. Il avait été muté là-bas. Mais dès qu’il a pu avoir un poste chez lui, à Touggourt, une oasis algérienne dans le nord du Sahara algérien, il y est retourné. »

« C’était une petite ville tranquille. On avait des chèvres, des moutons, des poules, des coqs. C’était la façon de survivre des gens. Il n’y avait pas de gros moyens. Nous étions sous l’occupation française. Il n’y avait pas beaucoup de travail. Les locaux ne travaillaient pas. Ils étaient obligés de vivre comme ils pouvaient. Enfant, j’ai joué tout mon saoul. »

« Nous avons toujours parlé le français à l’école, l’arabe à la maison et de temps en temps, des mots en français arrivaient. Ca devenait un mélange continu. »

« On vivait dans une grande maison et c’était sympa. Avec une grande cour et plein de chambres tout autour. On avait une écurie à côté. On avait des chiens, des lapins, des poulets… On avait donc des œufs et du lait. On avait un pigeonnier dans lequel on m’envoyait et je ramenais des pigeonneaux pour les manger. Il y avait l’eau courante à la maison, au milieu de la cour. Il n’y avait pas d’électricité au départ. J’ai connu la lampe à pétrole et la lampe au tungstène. Ca faisait une espèce de lumière bleutée. Les soirées se passaient sous ces lumières-là. On nous racontait des histoires qui commençaient toutes par l’équivalent de « il était une fois ». C’était ma mère qui racontait. Mon père, on ne le voyait pas, il était toujours avec ses copains dehors, à boire ou à courir les femmes, je ne sais pas. »

« On devait aller à l’école coranique le matin. On se levait à 6 heures pour y aller. Puis on revenait à la maison prendre un thé ou un café et on repartait pour l’école. »

« Je me souviens avoir reçu un vélo, un tourne-disque. On n’avait pas les moyens d’acheter des disques et on n’en avait qu’un seul que quelqu’un avait ramené du nord. C’était Rock around the clock de Bill Haley. On passait ça toute la journée du matin au soir.
La belle période dans les palmeraies, c’était l’automne, au moment de la récolte des dattes. On partait tous les weekends avec les ouvriers et on passait des moments agréables. On tirait les oiseaux avec la tire-boulettes, c’était une enfance heureuse. »

« Mon père était assez rigide et sévère. Il tenait beaucoup à ce qu’on apprenne à l’école. Avec ma sœur juste après moi, on était obligés de rester jusqu’à dix heures du soir à faire nos devoirs et à étudier alors que les autres étaient déjà en train de dormir ou d’écouter des histoires. Ce n’est pas pour autant que j’étais bon élève. En fait, je le suis devenu en quittant la maison, parce qu’il n’y avait plus de contrainte. »

« Ma mère ne voulait jamais que je fasse quoi que ce soit pour le ménage. Mais j’avais des sœurs et elles, elles étaient au ménage et à la cuisine. Pour ma mère, c’était un péché qu’un garçon fasse le ménage. Ca aurait été une honte pour un garçon de travailler comme une femme. »

« Mon enfance en Algérie a été tranquille. C’était encore très peu développé. Il n’y avait pas de voiture. Il n’y avait rien, juste la paix. Il y avait l’école, et la palmeraie. C’était plutôt agricole. Les gens vivaient du palmier dattier. La ville était le chef-lieu des territoires du sud. Il y avait une garnison militaire française.

La guerre d’Algérie

« Le fait marquant de ma jeunesse, c’est de m’être un jour réveillé brutalement avec des soldats et des barbelés partout. C’était en novembre 54 : la guerre d’Algérie commençait. »

« On vivait sous le régime de la peur et on fermait très tôt les portes. Le soir, on nous racontait qu’un tel avait été attrapé, un tel avait été tué… »

« On ne faisait plus le même parcours pour aller à l’école. Les rues étaient coupées par des barbelés. Il y avait des soldats avec des armes, partout. Rien que ça, c’était angoissant. Et il y avait cette terreur nocturne, de penser qu’ils pouvaient arriver et défoncer la porte. C’est arrivé chez nous : les armoires étaient renversées parce qu’ils cherchaient du fric. C’était l’armée d’occupation française. Nous, nous n’avions pas de droits : au travail, à la santé… Nous étions sous domination. »

« La guerre s’est terminée en 1962. En même temps, je finissais ma scolarité. J’avais été à l’école primaire et au collège à Touggourt. J’ai donc été à l’école française. On m’y avait appris « mes ancêtres les Gaulois ».

Il n’y avait plus rien après. Donc il fallait que je parte et mon père s’est dit que l’enseignement allait capoter pendant quelques années puisque les français étaient partis. Il m’a emmené en France : le deuxième grand choc de ma vie. »

Etudes en France

Quand je suis parti en 1962, je n’étais pas très heureux de partir. J’avais 16 ans et je quittais ma famille et une petite ville tranquille. Tout était étranger pour moi. »

« Je suis donc parti du côté de Grenoble, à la Côte-Saint-André, dans les Alpes, en Isère. J’étais dans une très petite ville qui était le lieu natal d’Hector Berlioz. J’ai commencé et fini mon lycée là-bas. Enfin non parce qu’il n’y avait pas de terminale dans ce lycée. Je suis allé faire ma terminale dans une autre ville, plus proche de Grenoble, qui s’appelle Voiron et est connue parce qu’elle est en bas d’une grande falaise du Vercors, de la chartreuse, l’abbaye de la Chartreuse où les chartreux fabriquent de l’alcool. J’étais en internat. »

Arrivé en France, je tombais dans un monde tout à fait différent. Nous étions en septembre 1962. J’avais quinze ans. Tout était différent : la façon de penser, de parler, de manger. J’étais interne alors qu’avant, je vivais en toute liberté. J’étais le seul algérien. Puis il y avait les problèmes alimentaires : parfois je ne mangeais pas parce que ça ne me convenait pas. Halal ou pas halal, à l’époque, on n’en discutait même pas. Par exemple, les jours où il y avait du boudin, je n’avais pas faim. Puis il y a eu un peu le choc culturel pour moi parce que je vivais jusque-là dans un monde où nous étions séparés des femmes et des filles, et je vivais mes premiers émois. En Algérie, ça ne se serait pas passé ou en tous cas, pas si tôt. Pour moi, c’était vraiment le jour et la nuit, une révolution dans ma vie. Donc ça m’a marqué et ça me marquera encore jusqu’à la fin de mes jours. »

« Quand j’étais en internat en France, à la Côte-Saint-André, par bonheur, la famille d’un camarade de classe m’a pris en sympathie et je passais tous mes dimanches, mes weekends chez eux. C’est une famille extraordinaire et j’en garde un souvenir merveilleux. Mr et Mme Berger sont décédés maintenant mais je suis toujours en rapport avec leur fils. On a grandi ensemble et il était un frère pour moi. »

« Moi, par rapport à mes frères et sœurs, on peut dire que j’ai grandi tout seul, moi étant en France, et eux en Algérie. Les contacts sont difficiles, j’ai toujours été seul. On est étrangers. »

« Ce dont je suis le plus fier dans ma vie, c’est d’avoir pu finir mes études de médecine et de chirurgie. C’était tellement long… J’aurais pu m’arrêter 100 fois. »

Chirurgien en Algérie, Arabie Saoudite, Etats-Unis

« En 81/82, je suis rentré en Algérie. Je ne suis pas allé dans un grand hôpital mais j’ai décidé de retourner à Touggourt. Je pensais qu’on y aurait besoin de moi et effectivement, il n’y avait pas de chirurgien algérien. A l’époque, même pour avoir un journal à la radio, il y avait des coupures d’électricité… et je n’ai pas tenu le coup. Je voulais des infrastructures qui permettent de travailler. Je voulais faire quelque chose, je savais le faire mais je ne pouvais pas le faire.

Après, je me suis remarié et j’ai trouvé une opportunité pour partir en Arabie Saoudite. J’ai travaillé là-bas où les conditions étaient totalement différentes. Je pouvais y faire les opérations que j’avais appris à faire. Il y avait des anesthésistes, ce qu’il n’y avait pas à Touggourt. Il y avait une réanimation, la possibilité de faire des investigations… donc on y faisait déjà quelque chose de plus intéressant sur le plan opératoire.

« La journée type d’un chirurgien ? On arrive le matin, on fait la tournée de ses malades puis on va en salle d’opération. On y passe quatre à cinq heures. On y est debout. A la fin, c’était pénible. Plus on avance en âge, plus ça devient difficile. On a mal au dos, les mollets font mal… On est tout le temps debout, c’est un travail physique.
Le plus agréable, c’était de savoir qu’on rendait service à quelqu’un. C’était plaisant de voir quelqu’un quitter l’hôpital rayonnant en étant arrivé malade. C’est très gratifiant. »

Plus tard, j’ai eu l’opportunité d’aller aux Etats-Unis. Je pensais pouvoir refaire ma vie là-bas sur le plan professionnel mais ça n’a pas du tout marché. J’étais déjà âgé et il aurait fallu refaire tous les diplômes, et c’était impossible pour moi, d’autant plus que je n’avais pas l’anglais au départ, pas suffisamment. Je me débrouillais dans l’hôpital et avec les infirmières mais pour aller refaire des études, c’était une autre histoire. »

Fin de vie professionnelle

« Moi j’étais d’accord pour continuer à travailler, j’ai envoyé des CV mais c’est vrai qu’il y a un temps pour tout. Mais rester à la maison et se lever le matin sans avoir de but… sans avoir rien à faire… On peut changer de métier, faire quelque chose de plus léger, ne serait-ce que du bénévolat. Histoire de continuer à vivre, d’avoir une raison de se lever, de s’habiller, de sortir, de se faire beau ou belle… »

« Moi, je pense qu’il faut faire des choses, il ne faut surtout pas s’arrêter. Ici, en Belgique, j’ai créé une petite association. Je donne des cours de français. Ca s’appelle Amal Belgika, espoir en Belgique. On n’est pas très nombreux mais on veut aider les gens, surtout ceux qui ne connaissent pas et qui ne savent ni la langue ni trouver un travail. Ils ont besoin de sortir et on organise des sorties régulièrement. »

La religion et moi

« Quand j’étais enfant, la religion était très importante, il n’y avait que ça, pour moi, il n’y avait rien d’autre. Dans ma petite ville du nord du Sahara, il n’y avait rien d’autre que la religion. On se lève, on fait la prière, on va manger, on refait la prière, on fait la sieste, on refait la prière… La religion était omniprésente. Je ne sais pas si c’était un poids parce qu’on ne s’en rendait pas compte. On vivait là-dedans du matin jusqu’au soir. Le Ramadan, c’était spécial parce qu’après avoir mangé le soir, on allait à la mosquée écouter les récitations du Coran. C’était une belle ambiance, quelque chose d’assez agréable. A une autre étape de ma vie, quand j’étais en Arabie Saoudite, c’était écrasant. Le poids de la religion était terrible. Il y avait dans les rues une espèce de police religieuse. Ils surveillaient les femmes pour que les cheveux ne dépassent pas ; à l’heure de la prière, il fallait fermer boutique et tout de suite aller à la mosquée ; si vous trainiez dans la rue, on vous ramassait. Ca a été terrible pour moi. C’est comme ça tout le temps, même en-dehors du Ramadan. La religion est partout, même dans les relations de travail. Quand j’avais une patiente, je ne pouvais pas fermer la porte. »

« La religion est importante dans ma vie quotidienne. Bon, pas… enfin, la religion explique aussi le fait que j’ai quitté l’Algérie, je ne vais pas le cacher. Je veux bien croire, prier et faire le Ramadan mais il faut que chaque chose reste à sa place. Dans la vie, il y a autre chose… il y a le travail, la famille…
Attention, je n’ai pas quitté l’islam. J’ai quitté le poids de la société algérienne. Dans les petits villages et les petites villes, les gens se surveillent, vérifient que tu vas à la mosquée ; si tu portes le voile ; si une femme parle à des hommes… C’est un contrôle permanent. »

« J’ai donc évolué dans mes croyances. Est-ce que Dieu existe ? Je n’en sais rien. Mais si je fais la prière et le Ramadan, c’est sans doute parce que je crois qu’il y a un créateur quelque part, même si on ne peut pas le figurer. Donc je le remercie. Mais croire qu’il y a quelque chose après la vie, qu’il y a un paradis et un enfer… ça, je ne le crois pas. Mais je pense qu’il faut quand même rendre grâce pour ce que l’on a eu. La prière est en fait un remerciement. »

« Dans ce village français de ma jeunesse, tout le monde allait à la messe le dimanche et moi je trainais sur une petite place, jusqu’au jour où le curé m’a choppé et m’a demandé pourquoi je n’allais pas à la messe. Je lui ai répondu que j‘étais musulman et il m’a dit « mais ça ne fait rien, tu peux prier ton dieu où tu veux ». A partir de ce moment-là, j’allais à la messe. J’ai été choqué non pas par la croyance elle-même mais par l’apparat, le décorum, les enfants de chœur, etc. Si je devais choisir entre le protestantisme et la religion catholique, je préfère les protestants, c’est beaucoup plus simple. Un temple protestant, ça ressemble à une mosquée, il n’y a rien. »

« Donc le fait d’être allé en France me permet aujourd’hui de m’exprimer en disant que la religion ne doit pas bouffer toute la vie. Dans les pays musulmans, tout est religion, même les relations entre mari et femme. Je trouve que c’est trop prégnant. Jusqu’à ce que des gens se mettent dans la tête qu’il faut tuer pour se rapprocher de Dieu ! Ca, c’est terrible… »

« Moi je pense que si on fait sa prière en vue d’obtenir quelque chose, c’est une erreur. Quand je prie, c’est pour remercier ce qui m’a créé.
Les bouddhistes ont une façon de remercier, les hindous aussi… Les indiens d’Amazone ont aussi leur grand totem… »

« Je suis allé plusieurs fois à la Mecque, où on est supposé rencontrer Dieu. Et là, les femmes et les hommes sont ensemble. Et les femmes sont obligées de découvrir leurs visages. Donc la séparation hommes-femmes et le voile, ce n’est pas l’islam. Ce sont des pratiques culturelles. »

« Je ne suis pas la religion telle qu’on me l’a apprise, je ne crois pas qu’il y ait ce barbu qui descende du 7è ciel et… mais qu’une force créatrice soit à l’origine du monde, oui. »

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