Je prends le train de Bruxelles à Marseille en 1957. Je visite le port, je rêve d’horizon lointain, de découvertes et je trouve une possibilité d’embarquement sur un bateau de marchandises qui va à Alger.

J’ai vingt-cinq ans je suis libre et sans contraintes. Je fais un extraordinaire voyage en Afrique du Nord. Avant le retour en Belgique par bateau, je rencontre Annie. C’est le coup de foudre ! Elle vit avec ses parents à Alger. Elle est ravissante, intelligente. Nous avons le même âge. Je le sais, je le sens, elle sera la femme de ma vie !

Nous sommes amoureux fous mais elle me prévient tout de suite :

 Je suis Juive et jamais je ne pourrai épouser un chrétien, ça ne se fait pas chez nous.

Ces mots me transpercent le cœur. Je rétorque que nous n’allons pas bous laisser impressionner par des préjugés.

Je veux offrir à celle que j’aime plus que de l’amour : la liberté d’une existence à la mesure de ses rêves. Je me rends compte qu’elle est habitée par une vision pessimiste de l’avenir. Sa famille, installée en Algérie depuis plusieurs générations, a connu des dangers, des menaces et des vexations pendant la seconde guerre mondiale. Juive, elle fut exclue de son lycée comme une petite malpropre. Elle en a été profondément marquée. En 1957, le conflit pour d’indépendance de l’Algérie réveille les peurs et les angoisses.

Je rentre en Belgique avec l’intention de la revoir au plus vite.

C’est après quatre ans de relations romantiques par courrier et de rares voyages entre Bruxelles et Alger, qu’Annie consent à m’épouser. Par respect pour la tradition, mon père écrit à ses parents une lettre officielle de demande en mariage. En 1961 nous nous marions à Alger en pleine guerre. Elle est décidée à me suivre à Bruxelles. Ses parents s’exileront au Sud de la France.

Nous avons été très heureux. Nous n’avions pas grand-chose mais le bonheur gommait les obstacles. Pourtant Annie était obsédée par une sorte de cauchemar, une vision pessimiste de l’avenir. Malgré ses craintes de mettre un enfant au monde, en 1963, nous avons eu un petit garçon, que nous chérissions tendrement. Je souhaitais avoir plusieurs enfants, mais elle fit plus tard une fausse couche. Une épreuve pénible qu’elle a surmontée sans se plaindre. Je crois qu’au fond elle en était soulagée.

L’année 1968 fut pour moi bouleversante mais, à mon grand étonnement, cette révolution laissait Annie indifférente. Nous avons alors fait la connaissance d’un groupe communautaire de personnes qui faisaient l’apprentissage d’un mode libéré. Ces adultes, avaient tous un emploi. Annie était la seule femme au foyer. Elle avait le sentiment d’être différente, mal considérée.

L’utopie était devenu la règle. Entre amis, on se réunissait, on refaisait le monde, on parlait de projets communs. Le pessimisme stérile de ma femme, qui depuis bien avant notre mariage ne lui faisait voir que le côté sombre de l’avenir, contrariait notre relation. Je l’aimais toujours d’un amour très vif, elle m’aimait tendrement mais attendait sans doute autre chose de ma part. Je pouvais difficilement la suivre dans ce mode de vie dépressif

En 1976, après cinq ans de dialogues infructueux, de thérapies diverses, nous avons décidé de nous séparer. J’ai quitté la maison. Elle a préféré rejoindre sa famille dans le Sud de la France. Notre fils, qui avait alors 13 ans, fit le choix difficile de rester vivre avec moi.

Nous n’avons jamais divorcé. Je suis resté meurtri.. Pour Annie, l’échec de notre union a confirmé ses craintes. Pour moi j’ai constaté avec amertume que cet amour, que je croyais magique, n’avait plus aucun effet sur notre couple.

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