Ce texte est extrait de notre recueil "Entre rire et pleurer"

Noël, ce mot magique me faisait rêver.

Chaque hiver, je préparais notre fête. Je descendais du grenier, le petit sapin artificiel que maman avait reçu en cadeau de sa mère, quand elle avait 18 ans. Ce sapin avait célébré 24 Noëls et maintenant il avait l’air bien triste car il vieillissait. J’avais pour le garnir, quelques boules de verre peintes, datant de la même époque. Malgré mes soins attentifs, la grosse pomme rouge perdait chaque année un peu de sa couleur, et le magnifique oiseau bleu prenait un air déplumé, tandis que sa longue queue argentée décollée lui rentrait dans le « poum ». Ce n’était pas une mince affaire de lui remettre la queue en place… Quant aux guirlandes dorées, mieux valait ne pas en parler, elles étaient vraiment devenues fripées et poussiéreuses.

Mon grand rêve de petite fille était d’avoir un vrai sapin, un sapin naturel qui sentirait bon la forêt. Chaque année, je demandais à maman de réaliser ce désir. Mais c’était la guerre et maman, voyant la dévaluation de l’argent et la montée des prix, me refusait tout ce que je lui demandais. « Après la guerre, disait maman, tu auras tout ce que ton cœur désire ».

J’allais avoir 10 ans et une fois de plus, je parlais des sapins, annonçant à maman que je les avais vus en vente sur la place du marché.

« Bien ! » me dit maman « ton concours de Noël est proche. Si tu es dans les trois premières, tu auras ton sapin, je te le promets, mais tu dois le mériter d’abord. »

En classe, j’étais une bonne élève. J’occupais la quatrième place. Pour la première fois de ma vie, j’étudiai sérieusement. Le 23 décembre arriva enfin. Après la petite fête à l’école, ce fut la distribution des bulletins donnant les résultats du concours. J’étais troisième sur 28. J’avais mérité l’arbre tellement désiré ! Maman et moi sommes parties place du marché.

A la première marchande, maman désigna du doigt, le plus petit sapin. La marchande annonça son prix. Maman se tourna vers moi et me dit :

  Viens, cette femme est une voleuse, allons voir ailleurs.

Nous avons fait tous les marchands de sapins de la place. Hélas, les prix se ressemblaient tous. Maintenant le soir tombait et je commençais à perdre espoir.

  Tu vois ce n’est pas possible, dans des conditions pareilles, d’acheter ton sapin.
  Mais, je l’ai gagné !
  C’est vrai, je t’avais promis un sapin. Tu as bien travaillé, tu es dans les trois premières de ta classe et je suis fière de toi. Mais au moment où je t’ai fait cette promesse, je n’avais aucune idée du prix des sapins.

La décision de maman était prise. Déjà elle faisait demi-tour pour rentrer à la maison quand une dame nous aborda… Et j’eus l’impression d’entrer dans un conte de Noël.

Cette dame, que je n’étais pas loin de considérer comme un ange, proposa à maman de lui vendre un grand sapin pour un très petit prix. Elle nous avait suivi, avait écouté notre conversation et nous invitait à la suivre. Nous pensions qu’elle avait une place sur le marché. Mais, bientôt nous avons quitté le lieu de vente et déambulé par les rues de la ville.

L’ange s’arrêta enfin, devant une grande maison. Nous sommes entrées dans une cour entourée de hauts immeubles.

  Attendez-moi ici, le sapin est dans la cave, je vais le chercher.

J’ai compris que mon ange était en réalité la concierge d’un immeuble qui abritait une société. Un des jours précédents, le Noël des enfants des associés et du personnel avait eu lieu et elle avait gardé le sapin, roi de la fête.

Le voici maintenant tenu à bout de bras par la concierge, devant mes yeux éblouis. Un si beau sapin, très grand, majestueux… Un sapin dont jamais je n’aurais osé rêver. Certes, on y voyait, de-ci, de-là, quelques traces de cheveux d’anges qui pendouillaient mais qu’importe ! Maman sortit de son porte-monnaie, le prix modique demandé par la concierge qui avait eu la bonne idée, en cette veille de Noël, d’aller rôder sur la place du marché, avec l’espoir de pouvoir se faire un peu d’argent avec le sapin abandonné dans la cave.

Nous étions tous contents, la concierge qui riait, maman toujours heureuse lorsqu’elle réalisait une bonne affaire, le sapin, revenu de l’ombre à la lumière. Il était si content lui aussi : il allait à nouveau servir et rendre heureux. Quant à moi, je ne peux pas décrire mon bonheur. C’était un vrai conte de Noël… Par les rues de la ville, j’emportais le plus beau des sapins. Nous le traînions, moi par la tête et maman soutenant le pied, déjà garni de son croisillon de bois. Quelle joie de voir mon rêve se réaliser.

Nous l’avons planté dans un coin de la cuisine devant la fenêtre. Quelle fière allure il avait, son sommet atteignait presque le plafond. Certes, je n’avais pas beaucoup de décorations ! J’ai placé bien en vue, la pomme presque rouge et l’oiseau presque bleu. J’ai pris alors dans le buffet le paquet d’ouate et bientôt la neige s’est mise à tomber à gros flocons sur mon arbre de Noël. J’ai travaillé avec des ciseaux et du papier d’emballage et j’ai inventé des guirlandes et des étoiles. Pendant toute la durée des vacances, j’ai joué à décorer mon fameux sapin.

Par la suite, j’ai garni dans ma vie, bien des sapins. Tous furent beaux et dressés dans la joie. Mais aucun d’eux ne m’a procuré autant de pur bonheur enfantin, que ce sapin miraculeux, qui avait quitté une riche demeure, pour venir embaumer notre humble cuisine et rester pour toute ma vie, un de mes plus beaux souvenirs d’enfance.

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