J’ai travaillé jusqu’à l’âge de 35 ans dans une société d’informatique médicale. Et puis, j’ai arrêté en 1995. Mon travail s’écartait de plus en plus de mes aspirations de base qui étaient plus sociales que lucratives.

J’étais mariée et avais 2 fils, un de 6 ans et l’autre de 3 ans. Beaucoup ont cru que je m’arrêtais de travailler pour pouvoir élever mes enfants. Entendre cela m’irritait. Bien sûr, ils n’étaient pas étrangers à ma décision. J’avais voulu des enfants ; je voulais et je pouvais assumer pleinement ce choix. Mais seulement voilà, jamais au grand jamais mon rêve n’avais été d’être mariée, d’avoir des enfants et puis STOP …
L’idée de me présenter devant des étrangers, des amis (et même mes proches !) comme simple mère de famille m’était insupportable. Quelque part, au fond de moi, j’enviais celles et ceux qui avaient un travail, quel qu’il soit ! J’enviais l’épicier qui tous les jours se levait à 3h30 du matin pour aller au marché, les navetteurs qui prenaient 2 heures chaque jour pour aller et revenir du boulot, l’infirmière qui trouvait facilement un travail à mi-temps à l’hôpital.
Eux, ils existaient ; ils étaient quelqu’un. Moi, je ne savais plus qui j’étais.

A l’époque, quand à l’association de parents de l’école de mes enfants, quelqu’un me demandait quelle était ma profession, je répondais médecin. C’était faux et c’était vrai.
Oui, c’est vrai, j’avais fait des études de médecine. J’avais un numéro INAMI mais je ne pratiquais pas. L’apostolat et la vie trépidante de jeune mère de famille qui jongle habilement entre ses 70 heures de travail hebdomadaires et stressantes, ses patients auxquels elle est attachée, ses enfants et son mari … cette vie-là, non ce n’était pas pour moi ! La routine du généraliste ou la technicité des ophtalmologues, dermatologues et autres « ogues » que l’ont dit plus « faits » pour les femmes médecins, non cela non plus n’était pas pour moi. Donc j’ai décidé que mon seul acte médical serait de prescrire tout au plus quelques ordonnances pour mes proches.

Alors, quand je disais que j’étais médecin lors de réunions de l’association des parents, les gens « s’imaginaient » plein de choses. Ils attendaient de moi que j’aie des horaires très difficiles, une salle de consultation où je pourrais disposer des publicités pour la brocante de l’école. Ils ne comprenaient pas, quand en pleine réunion, je restais silencieuse lorsqu’une maman lançait une diatribe sur les verrues de sa fille, attrapées, disaient-elle lors d’une sortie piscine.

A l’époque, j’ai commencé à travailler dans un centre de documentation d’une asbl s’occupant d’intergénérationnel. Je l’ai informatisé en étant pour moitié payée et pour l’autre moitié bénévole. Un jour, j’ai surpris la secrétaire de l’association parler de moi, comme étant la bénévole de la bibliothèque. Cela m’a profondément choquée … et pourtant c’était vrai ! Même si j’effectuais un travail qui aurait pu être rémunéré ; il ne l’était pas et donc j’étais bénévole. Je trouvais terrible que les fonctions que j’exerçais au sein de cette association ne puissent être présentées que par un petit bout de la lorgnette, le fait que ce que je faisais n’était pas payé ! Personne ne m’ayant jamais proposé une place de permanente, ni d’administrateur, je me suis dit qu’il était temps que je fonde moi-même une association. Après tout, mon père, lui, avait bien fondé une entreprise !

Le public-cible de cette association serait les « retraités », les projets à mettre sur pied nombreux et variés tournés vers la valorisation des expériences et connaissances des aînés à transmettre à d’autres, jeunes et moins jeunes. Pourquoi avoir choisi ce domaine ? Cette idée s’est imposée à moi ! Encore aujourd’hui je ne sais pas tout à fait pourquoi ! Sans doute en partie parce que mes parents avaient 40 ans de plus que moi. Sans doute aussi parce qu’à l’âge de 18 ans, mon père m’a transmis un secret de famille qui a complètement transformé ma vision de lui et sans doute aussi celle du monde, le rendant plus complexe, intéressant, attachant. Et puis, je suis athée ou plutôt agnostique. Dieu seul sait ce que se passe « après »… ! Laisser quelques petites traces de notre passage sur terre participe à ma philosophie de vie.

En avril 97, les statuts d’Ages et Transmissions étaient déposés au Moniteur. J’en devenais la Présidente. Après avoir étudié pour rajouter des années à la vie, j’essayais modestement de rajouter un peu de vie aux années et aussi de donner un sens à l’allongement de la vie. Expériences de vie, savoirs, transmissions, importance de chaque génération par rapport à l’autre, spiritualité, intériorité, utilité sociale, disponibilité, sagesse (et pourquoi pas ?) … telles sont pour moi les valeurs portées par les aînés.

Et puis petit à petit, au fil des années, de nos rencontres et de nos activités, s’est imposée une autre ouverture, celle aux personnes d’autres cultures porteuses d’une autre histoire qui nous interroge elle aussi sur notre identité qui peut continuer à se transformer, à mûrir tout au long de la vie.

5 commentaires Répondre

  • Lucienne E Répondre

    Je découvre ton message avec beaucoup d’émotions. J’aime ces chemins non conformistes, fruits d’une évolution réfléchie, d’une écoute, d’un respect de soi, chemins parfois difficiles mais tellement gratifiants. Cela me parle. Toi et ton association êtes un de ces chemins que j’ai emprunté avec tellement de plaisir, de bonheur, d’enrichissements. Il m’a même servi de "médicaments" pour supporter des douleurs physiques dues au temps qui passe. Merci Michèle...pour tout.

    • Lucienne E Répondre

      Oups, mon message est parti deux fois ! J’ai cru que je m’étais trompée et j’ai tout recommencé ! J’aurais dû aussi suivre un "chemin de l’informatique" ! Mille excuses !

  • Lucienne E Répondre

    Je découvre avec émotion ton message. J’aime ces chemins non conformistes qui nous ramènent à nous-mêmes, fruits d’une évolution réfléchie, d’une écoute, d’un respect de soi, chemins parfois douloureux mais si on s’y accroche, tellement gratifiants ! Cela me parle. Tu étais, avec ton association sur un de mes chemins que j’ai emprunté avec tellement de plaisir, de bonheur,d’enrichissements. Il m’a même servi de "médicaments" pour soulager des douleurs physique inhérentes au temps qui passe.Merci Michèle...pour tout. Lucienne E.

  • JeannineKe Répondre

    Une trace de vie ?
    elle est définitivement marquée par le succès de "à‚ges et Transmissions "et l’enthousiasme des personnes qui te rejoignent
    Bravo
    c

  • Baloo1300 Répondre

    Bravo, Michèle !
    C’est bien de montrer l’exemple !
    Merci pour cette belle tranche ...de ta vie !
    Bernard

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