Ce texte fait partie du feuilleton d’Elisabeth "Entre Hongrie et Belgique, un chemin d’immigration" Lire l’ensemble

Trois jours après notre arrivée en Belgique, c’était Noël. Notre famille belge a tout fait pour nous rendre cette fête agréable. J’ai reçu une poupée avec de vrais cheveux mais elle n’a jamais remplacé ma poupée bébé, grandeur nature, qui était restée en Hongrie. Elle s’appelait Dodo. Plus tard maman a cousu toute une série de vêtements pour cette poupée pour que j’apprenne à la chérir mais rien n’y a fait, je ne l’ai jamais vraiment adoptée et elle ne reçut jamais de nom. Ma maman était gênée vis-à-vis de la famille qui me l’avait offerte.

Nous habitions provisoirement dans une maison qui était destinée à la démolition. La maison qui était prévue pour nous n’allait se libérer que quelques mois plus tard. En attendant c’étaient le froid et l’humidité qui entraient par toutes les fissures mais il y avait quand même le strict nécessaire pour démarrer. Mes parents étaient étonnés de l’absence de salle de bain ; plus tard ils apprirent que la Belgique avait du retard sur la Hongrie en ce qui concernait le confort sanitaire. Même notre famille d’accueil qui était aisée n’avait de l’eau courante que dans la cuisine. Chaque chambre à coucher avait une crédence avec une bassine et une cruche assortie en porcelaine. Les lavabos n’existaient pas encore.

La famille belge de ma tante Elisabeth possédait un grand magasin de meubles avec trois niveaux d’exposition et un coin où ils vendaient aussi des jouets. Dans un bâtiment annexe se trouvaient l’entrepôt de meubles et de jouets ainsi qu’un atelier. Plusieurs ouvriers y travaillaient et trois servantes s’occupaient du nettoyage, de la lessive et du ménage. Trois générations vivaient sous le même toit, avec en plus, ma tante. Les trois enfants de la famille se sont mariés l’un après l’autre ces années-là et ont quitté la maison. Mon père fut engagé pour le travail dans l’atelier et pour le transport des meubles ainsi que pour la conduite des trois camions de taille différente qu’ils possédaient. Il devait se rendre disponible selon les nécessités.

Après les vacances de Noël, au mois de janvier, j’entrais dans ma nouvelle école (Grauwe Zusters Penitenten) en poursuivant ma 2ème année. J’ai le très bon souvenir que l’enseignante s’investissait pour que je m’insère au plus vite. Elle possédait un dictionnaire pour se faire comprendre. Les religieuses aussi qui tenaient l’école étaient bienveillantes envers l’unique élève étrangère que comptait leur école. Mes deux frères ont été accueillis au mois de janvier en 1ère primaire dans l’école des garçons. Ils y sont restés jusqu’aux grandes vacances. L’année d’après, ils ont refait la 5ème primaire qu’ils avaient entamée en Hongrie. Pour eux, ce changement et cette régression n’étaient pas à leur avantage.

Quelques fois, les réfugiés hongrois des deux Flandres se rassemblaient. En y allant la première fois, mon père fut offusqué de la distribution de colis alimentaires. « Comment donc, je ne suis pas venu en Belgique pour recevoir la charité ! Je gagne ma vie et j’achète moi-même ce dont ma famille a besoin l » Il accepta néanmoins quelques jouets comme cadeaux pour les enfants. Il lui avait fallu déjà accepter le nécessaire pour redémarrer sa vie avec sa famille, c’était suffisant ! Nous n’aimions pas trop ces rencontres où chacun se plaisait à raconter son douloureux vécu.

Comme j’étais fort chérie par ma tante et toute sa famille belge, surtout par Greta qui avait 18 ans, j’allais souvent chez eux. Leur grande maison, les salles d’expositions, l’atelier et surtout l’entrepôt des jouets devenaient mon terrain de jeu. J’avais accès et champ libre partout. J’appris vite la langue puisque toutes les personnes que j’y rencontrais m’adressaient la parole. Rapidement je lus tous les livres Spirou, Marsupilami, Tintin que je trouvais dans la maison. Le premier été, je fus également envoyée dans une colonie de vacances pour bien apprendre la langue, tandis que mes parents, avec mes frères, allaient à Bruxelles pour visiter l’expo ’58.

Assez rapidement maman a ressenti que les relations avec les deux soeurs de papa n’étaient pas aussi chaleureuses qu’avec ses propres soeurs restées en Hongrie. Papa aussi a bien compris que retrouver ses deux sœurs, après plus de 20 ans de séparation n’était pas ce qu’il avait espéré. En fait, ils ont peu vécu ensemble et sans leur mère, décédée trop jeune. Leur père n’avait pas réussi à souder la famille.
Probablement pour mettre du baume sur la nostalgie de maman, à l’approche de notre 2ème Noël, notre grand-mère est venue nous rendre visite. Un de mes frères avait attrapé la jaunisse et était interdit d’école pendant deux ou trois mois. C’est à ce moment-là que grand-mère est venue.

Elle m’a rapporté la grande poupée Dodo qui me manquait toujours. Cette poupée, aujourd’hui, se trouve chez moi. Je l’ai récupérée chez mes parents, après que ma nièce et mon neveu l’aient maltraitée dans leurs jeux d’enfants mais elle a survécu. La venue de grand-mère servait surtout à consoler maman qui avait le mal du pays.

Le seul endroit où mes parents ne se sentaient pas dépaysés, c’était en allant à la messe le dimanche. C’était le temps où les messes se disaient en grégorien, il n’y fallait pas comprendre grande chose à cette époque. Ils étaient heureux de pouvoir vivre leur foi ici, en pleine liberté, et que nous, les enfants, fréquentions des écoles catholiques où la prière trouvait sa place avant les cours.

Habiter à Poperinge devenait doucement trop lourd. Dans cette ville, il n’y avait aucune distraction. Si nous voulions faire une promenade, il n’y avait que le cimetière. Nous promener en ville attirait l’attention de tous les passants : nous étions les seuls étrangers dans cette ville et tout le monde nous connaissait et, rien que par leur regard, ils nous faisaient ressentir que nous étions différents d’eux.

Après deux années, papa a trouvé à Anvers un autre travail. Il a loué une chambre dans la Maison Hongroise qui existait à l’époque et revenait toutes les fins de semaine avec des grosses oranges pour nous, les enfants, et des poivrons pour maman. Ces denrées alimentaires nous manquaient énormément, puisque indispensables dans toute préparation de la cuisine hongroise. Pour les grandes vacances 1950, papa a trouvé un appartement où nous avons déménagé. Nous y avons habité jusqu’à l’achat de notre maison, dix ans après.

Papa voulut donc se détacher de notre premier enracinement belge. Le travail de transporteur de meubles ne convenait pas pour sa santé et il se sentait aussi devenir de plus en plus l’homme à tout faire de la famille. Il ne voulait pas non plus être dans l’obligation de rester redevable durant toute sa vie à ceux qui nous ont accueillis avec beaucoup de bienveillance. Ils nous ont aidés à redémarrer dans la vie, pour cela il restait reconnaissant, mais il ne voulait pas se laisser enfermer dans une non-liberté, en se mettant entièrement à la disposition de notre famille d’accueil.

Vu son âge, déjà 45 ans, et ne connaissant pas aisément la langue, il était difficile pour papa de trouver un métier qui corresponde à sa formation. ll trouva une offre d’emploi dans un garage FIAT à Anvers, tout ce qu’il avait détesté dans sa jeunesse. Pourtant, grâce à son habileté manuelle, son savoir-faire et sa débrouillardise, il devint un ouvrier apprécié par son patron. Durant les 10 années qu’il y a travaillé, il s’est spécialisé dans la réparation, surtout des moteurs. Ensuite, ayant acheté une maison avec un grand garage, il devint son propre patron. Par ce travail bien stable, il a offert à sa famille un équilibre, une stabilité et un avenir.

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