Mai 1968. J’ai 19 ans et je ne m’entends plus du tout avec ma mère et mon beau-père. Ils me considèrent encore comme une enfant ; je dois même leur demander la permission pour rentrer tard le soir.

Je décide, sans rien dire à personne, de quitter la maison et d’aller vivre chez Eric. C’est un ami et je le connais depuis plusieurs mois. Nous nous entendons bien. Nous vivons ensemble pendant 6 mois.

Maman se fait du souci pour moi ; je lui téléphone. Une réunion de famille est prévue entre Eric et mon beau-père. Ils vont parler de mon avenir ! Conclusion : nous devons nous marier sinon mon beau-père portera plainte. En effet, je n’ai pas encore 21 ans et suis donc mineure et sous la responsabilité de mes parents.

Nous nous marions donc en 1971. Nous passons chez le notaire et signons un contrat de mariage. Mes parents nous y obligent. Ce sera un contrat de séparation de biens. Pourtant je ne possède qu’une casserole à pression et un peu d’argent sur mon livret d’épargne. Mes parents affirment :

  Ce contrat veillera à ton indépendance dans l’avenir en cas de divorce !

Un peu plus tard, je trouve un travail. Je suis vendeuse dans un grand magasin. Je gagne ma vie. Mon salaire sera versé sur un compte en banque. Il doit être ouvert à mon nom. Il faut régler cette affaire. Je vais à la banque le jour de mon congé hebdomadaire. J’emporte mon contrat de mariage. Je me présente :

  Bonjour Monsieur ; je souhaite ouvrir un compte en banque.

Le guichetier me demande ma carte d’identité. Je la lui donne.

  Je vois que vous êtes mariée. Avez-vous l’autorisation de votre mari ?
  Mais je n’ai pas besoin de son accord. J’ai un contrat de mariage qui me le permet.

Je sors de mon sac le fameux document. Le guichetier y jette un rapide coup d’œil. Il me dit :

  J’ai besoin d’une attestation de votre mari.

Je commence à m’énerver. Je lui réponds :

  Non, Monsieur. Un contrat de « communauté » de biens exige l’accord du mari. Mais ceci est un contrat de « séparation » de biens !

L’employé, machiste, ne veut rien entendre. Il continue de s’opposer à ma demande. Pour le coup, je m’énerve vraiment. J’exige de parler au directeur. Je parle haut et fort. Le directeur accourt. Je lui raconte ma mésaventure. Il semble mieux au courant des lois. Il a aussi plus de respect pour la liberté des femmes. Il ordonne à son employé d’ouvrir un compte à mon nom. Je suis ravie. J’ai gagné une bataille.

En 1973, en Belgique, la loi change. Elle permet aux femmes d’ouvrir un compte en banque, sans l’autorisation du mari.

1 commentaire Répondre

  • JeannineKe Répondre

    un récit édifiant des problèmes des femmes

    l’obligation de mariage au chantage était courante
    on critique aujourd’hui certains principes dictés par ’honneur, la tradition, mais on oublie que la situation des jeunes filles d’antan était souvent la même

    quant au compte en banque, forte de ton bon droit tu as tenu tête, ce qui était rarement le cas.
    Une belle leçon pour tous et toutes

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