Extrait de "Nous racontons notre vie", La Fonderie, 2013-14

Je suis née en 1947 au Congo belge à Lubumbashi, au Katanga. Bernadette est mon nom de baptême. Mon prénom de naissance est Nsanza, qui veut dire jumeau.

Une enfance au Congo

Pendant mon enfance, nous habitions à Jadotville au Katanga. Nous étions à la maison 3 garçons et 3 filles. Les frères et soeurs ont été éduqués différemment. Mes soeurs et moi, nous suivions maman ; mes frères suivaient papa. Ma mère me considérait comme une esclave ; il fallait que je torchonne la maison avant d’aller à l’école. Du coup j’arrivais en retard à l’école ; tout était fermé quand j’arrivais. Au retour, je devais courir à la maison pour y faire à manger à 16 h.

L’école était à un km à pied ; j’ai commencé l’école à 7 ans en 1953 et j’ai terminé en 1962 à 16 ans. C’était encore des sœurs Bénédictines. Les cours étaient surtout en swahéli pour les filles et plutôt en français pour les garçons. En primaire, les enseignants étaient noirs, en secondaire, ils étaient blancs.

Ma mère disait toujours que j’étais la « bête » de la maison. Elle disait : "Ton bureau, c’est la cuisine ! Tu ne travailleras jamais dans des bureaux, ça ne sert à rien d’étudier." J’ai été traumatisée toute ma vie par ça. Alors que j’ai toujours adoré l’école, encore aujourd’hui !

Elle a voulu que je me marie à 14 ans. Heureusement, mon père me poussait à continuer et moi je voulais étudier. J’ai choisi la pédagogie pour devenir enseignante.

C’était le temps du Congo belge, tout était séparé entre Blancs et Noirs : les écoles, les magasins, les églises, les bus. Les Blancs habitaient ailleurs. Un véritable « apartheid » ! Pour nous, c’était normal. Par contre, les mariages mixtes n’étaient pas interdits.

Je me rappelle de l’Indépendance en 1960. On nous interdisait de sortir car on savait qu’il allait y avoir des problèmes.

Au travail !

J’ai terminé mes études de pédagogie au Congo en 1962 ; j’avais 16 ans. C’était une période très troublée car nous étions en pleine guerre de sécession du Katanga. Mon père était en prison. Originaires du Kasaï, nous habitions le Katanga et nous ne pouvions pas rentrer chez nous.
J’ai été voir le directeur de l’école laïque et il m’a engagée. J’ai donc été pendant un an institutrice en première année primaire à Jadotville (Likassi). Les gendarmes katangais kidnappaient les filles. Ma mère venait me chercher à l’école tous les jours. Je gagnais 7000 FB que je donnais à ma mère pour faire vivre notre famille.
Ensuite, je me suis mariée et nous sommes partis à Lubumbashi.
J’étais la seule à gagner de l’argent. Dans ma classe, j’avais 30 enfants. J’aimais beaucoup ce travail que j’ai occupé jusqu’en 1967. A ce moment-là, les enseignants n’étaient plus payés. Nous avons alors ouvert un petit commerce d’alimentation où on vendait un peu de tout.

Mariage

La première fois que j’ai vu mon futur mari, il m’a dit qu’il m’aimait. J’étais un peu surprise. Il ne pouvait pas me demander en mariage à mes parents directement. Il m’a emmenée le dimanche chez ses parents. Moi j’ai dit à mes parents que j’avais trouvé un garçon. En un mois, j’étais mariée ! J’avais 17 ans. C’était le 1er juin 1964.
Le jour où on donne la dot, c’est le mariage coutumier, ensuite vient le mariage à la commune et enfin à l’Eglise. On ne pouvait pas dormir ensemble avant le mariage religieux. Dans notre culture, il faut marier une fille vierge. Sinon on la renvoie aux parents et il y a de gros scandales.
Nous avons eu 4 enfants.

Religion

Pour moi, être chrétien est très important. Je ne peux pas vivre sans la prière et la religion. Dans le temps, mes parents étaient divorcés et on n’avait pas le droit d’être baptisé. Je suis la seule dans la famille qui ait été baptisée. Pour moi, Dieu nous aime tous.
Mes quatre enfants vivants ont tous bien réussi et travaillent. C’est grâce à la prière. Je me sens unie à eux grâce à la prière. Je visite aussi maintenant les sans-abris à la gare centrale, à la rue Neuve. Dieu est pour tout le monde.
Mes enfants et petits-enfants sont croyants.
Mes parents n’étaient pas très croyants. Ils étaient divorcés et à l’écart. C’est l’école qui m’a appris la foi. Mes parents ne m’ont jamais obligée à aller à l’église, j’ai décidé seule.
Les religieuses en Afrique étaient très dures et favorisaient les enfants d’origine katangaise. Mais elles ne m’ont pas dégouté de Dieu, ça n’a rien à voir.
Comment je me sens par rapport aux autres religions ? Dieu est grand. Il y a plusieurs manières d’arriver au même endroit. Dieu nous aime tous. Pour moi Dieu est un visage d’amour.
Maintenant avec l’âge, je deviens sage, je suis plus croyante et plus sereine.

Aujourd’hui, en Belgique

Je suis arrivée ici, en Belgique, en 1993. Mes enfants faisaient leurs études à Louvain-La-Neuve. J’ai fui les pillages et la fin de la période Mobutu. Mes enfants ont trouvé un magasin pour moi à Koekelberg mais suite à des tracasseries administratives, le magasin a fermé.
Je suis retraitée mais je vends des pagnes, des bijoux de fantaisie le samedi et le dimanche au Marché de l’Abattoir à Anderlecht. Je suis aussi mamy conteuse à l’école 13 à Molenbeek et visite des personnes âgées dans des maisons de repos.

1 commentaire Répondre

  • JeannineKe Répondre

    Bernadette a une foi inébranlable
    elle a fait ce choix sans y être obligée
    Je l’ai rencontrée, elle parle de Dieu avec conviction, avec amour, avec certitude
    c’est remarquable !

    Personnellement,je n’ai pas choisi mon éducation chrétienne
    Pour moi, Dieu était Celui qui allait tout résoudre, il suffisait de prier
    J’ai donc été déçue
    quand on m’a répondu, Ce que Dieu veut... j’ai décroché
    Mais j’aime les églises pour me recueillir

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