Extrait de "Nous racontons notre vie", La Fonderie, 2013-14

Je viens du Sénégal, de Dakar où je suis né il y a plus de 30 ans. J’ai été à l’école coranique en arabe. Je suis depuis 2 ans et demi à Bruxelles. Au pays, j’étais chauffeur de bus. Je suis venu travailler en Belgique et si possible, j’aimerais faire venir ma famille ici. Je trouve intéressant d’écouter et de parler. Je suis des cours à « Lire et Ecrire » à Molenbeek. Ousmane en Peul veut dire « compagnon du prophète ».

Enfance au Sénégal

Je suis né dans une famille religieuse, à Dakar. Mon père était marabout et voulait que je le devienne aussi. A 3 ans, on m’a emmené à l’école coranique, dans un village à 800 km de chez moi, avec 400 à 500 enfants. C’était dur. On se levait à 5 h pour apprendre le coran jusqu’à 8 h, puis après on travaillait dans les champs jusqu’à 13h, ensuite on allait dans les villages environnants mendier notre nourriture. Ensuite, on revenait à l’école, on mettait tout ensemble dans un bol et on partageait.

Puis, de nouveau on récitait le coran, on travaillait. On dormait avec beaucoup de monde, parfois on passait la nuit dehors, c’était une grande maison. Dans cette école, on parlait Peul.

Jusqu’à mes 10 ans, j’ai été loin de mes parents. Je les voyais une fois par an, à la fête de Tabaski. Dès mes 3 ans j’ai donc été livré à moi-même, parfois il fallait se bagarrer avec les autres pour avoir sa place. Au début, la femme du marabout s’occupait un peu de nous.

Si je jouais parfois ? Oui, bien sûr le jeudi et vendredi car c’était congé. On jouait au foot, à la lutte.

A 10 ans, je suis revenu à la maison pour aller dans une autre école coranique où j’ai appris l’arabe littéraire.

J’ai appris le français ici en Belgique depuis deux ans et demi. Dans la vie, pour vivre, il faut être solide. Grâce à mon enfance je peux vivre partout, car j’ai eu une enfance très dure. Je suis armé pour la vie ; dans toutes les situations, je me débrouille. C’est pourquoi je suis ici aujourd’hui !

Au début, quand j’étais petit, j’étais triste de ne pas voir mes parents et au fur et à mesure que j’ai grandi, j’ai réalisé que j’ai eu une bonne éducation car moi je ne fais pas de bêtises, pas comme ceux qui ont grandi à Dakar.

Aujourd’hui, si je rentre au pays, je peux être marabout et diriger une mosquée. Un marabout enseigne le coran. Je suis héritier d’une famille de marabouts.

Famille

A la maison, au Sénégal, nous étions quatre sœurs et trois frères. Mes frères ont été dans une école à Dakar ; ils y ont appris le français. Mon père était commerçant et voulait que mon frère aîné reprenne le commerce, pour ça il devait connaître les langues. Etant donné que j’ai été éduqué autrement que mes frères, nous sommes aujourd’hui très différents.
Mes sœurs, elles, n’ont pas été à l’école.

Travail

Au Sénégal, j’ai travaillé dans une société qui distribuait les journaux. Du lundi au samedi, je devais me lever tôt, à 4 h du matin. J’avais une camionnette, j’allais à l’aéroport, je triais les journaux, ensuite je les distribuais, notamment dans les ambassades. Un jour, j’ai rencontré le ministre des finances d’Italie.

C’est un bon souvenir ; je rencontrais beaucoup de gens différents et je gagnais 400 € par mois. Cet argent, je le donnais à mon père car nous habitions avec 25 personnes de la famille sous le même toit. C’est mon père qui gérait tout ça.

J’ai travaillé dans cette société pendant dix ans, ensuite elle a fait faillite.

Mariage

Je suis marié et j’ai 3 filles au Sénégal. Je me suis marié à 25 ans, ma femme en avait 18. Ma mère voulait que je me marie avec ma cousine ; or je connaissais une autre femme, une voisine.
Ma mère n’était pas d’accord, elle voulait que je prenne une femme qu’elle avait choisie. Ma mère était fâchée. Chez les Peuls on se marie dans la famille. Si on se marie en dehors, c’est une exception !

Un de mes frères et moi nous sommes mariés le même jour. Le mariage c’est important et ça coûte très cher !

Finalement, je me suis donc marié avec la femme que j’ai choisie, mais ma mère lui a mené la vie dure ! Pour elle, c’était une étrangère. Après un an, on a eu une fille et je lui ai donné le nom de ma mère ! Les choses se sont un peu arrangées... Ma femme a réussi à séduire ma mère. Maintenant, elles vivent toujours ensemble et s’entendent très bien !
Ma femme est une femme forte !

Entre ici et là-bas : Dakar, Paris, Bruxelles

Avant d’arriver ici, je suis passé par Paris pendant 6 mois. J’y ai un frère et c’est avec le regroupement familial que j’ai pu venir. Comme je n’ai pas trouvé du travail, je suis parti pour la Belgique en 2011. Ici, je connais plus de monde d’autres cultures, il y a moins de monde qu’à Paris. Ici en Europe, c’est plein de couleurs, tandis qu’en Afrique tout est en noir et blanc. L’ex-président du Sénégal, Léopold Sédar Senghor ? C’est en arrivant ici que j’ai compris que c’était un grand homme !

En Belgique, j’ai été à Gembloux, Liège, Bastogne. J’ai beaucoup d’amis ici.

Je voudrais retourner vivre au Sénégal. Là-bas les gens se connaissent, parlent facilement entre eux ; dans les transports en commun, même quand tu ne connais personne, s’il y a un match de lutte ou de boxe, tout le monde parle de ça avec tout le monde. Ici, avant, je disais bonjour à tout le monde et personne ne me répondait. Maintenant, je ne dis plus bonjour à tout le monde.

Chez moi, tout le monde habite ensemble : hommes, femmes, enfants, grands-parents. Si une personne travaille, elle fait vivre toute la famille, même avec 250 € par mois. Ici, si tu n’as pas d’argent, tu ne manges pas. Chez nous, on ne calcule pas, on te dit « viens manger chez nous » même si on ne te connait pas ! A Bruxelles, je vis dans une maison avec 6 ou 7 autres personnes ; on partage ; c’est la solidarité africaine !

Religion

Pour moi, la religion est importante ; je suis musulman pratiquant. Au Sénégal, on est 94 % de musulmans, mais il y a une grande tolérance pour les autres croyances.

Il faut croire en tous les livres saints, Bible et Coran ; je peux me marier avec une croyante, mais pas avec une athée. Etre croyant est important.

Je dois prier cinq fois par jour ; la mosquée est là pour rassembler des gens et créer cette solidarité. La prière du vendredi est importante, car l’imam fait le discours qui doit nous inspirer pendant la semaine. Le Coran est un code de vie comme le code de la route ! Etre musulman ce n’est pas seulement prier, il faut aussi agir. Les valeurs sont importantes, le pardon p.ex.

Tuer au nom d’Allah ? Je ne comprends pas. La politique ne doit pas entrer dans la religion.
Ce que je vais enseigner à mes enfants ? Le Coran, la vie, les valeurs.

Dieu pour moi est partout et tout le temps.

Un objet important pour moi : mon smartphone

Un objet très important dans ma vie, c’est ce smartphone. Avant, je disais que je ne dépenserais jamais 20 euros pour un portable ! Il m’a coûté 300 euros, et je fais tout avec. C’est l’objet le plus important de ma vie actuelle. Je regarde les horaires des transports en commun, je parle avec ma famille ; avec skype, je vois ma mère ! Ce portable pour moi, c’est ma liberté. Si je le perds, j’en achète un autre. C’est le lien avec mes amis, ma famille. Ils sont aux quatre coins du monde. Avec ça, je ne suis jamais seul !

1 commentaire Répondre

  • JeannineKe Répondre

    j’ai eu la chance de rencontrer Ousmane
    une volonté de fer , une histoire peu banale,
    J’évoque son histoire auprès de mes petits enfants, je veux qu’ils réalisent que la persévérance, l’amitié, l’amour arrivent à vaincre les obstacles
    Ousmane est un exemple criant,

    je te souhaite Ousmane de retrouver rapidement tes enfants, de réussir ta vie, tu as le bagage nécessaire
    Bravo !

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