Rentrée des classes. La « Schultüte », une belle coutume allemande

Printemps 1951. J’ai six ans et demi. Ma vie va changer quand j’aurai digéré les oeufs en chocolat, apportés par le lapin de Pâques. Née en 1944, j’ai à présent l’âge d’être scolarisée. C’est le lot de plusieurs enfants autour de moi. Je suis tout heureuse que mon amie Solveig Mühlenbach, du numéro deux, soit inscrite dans la même école.
Mes parents m’ont acheté un cartable en cuir, à porter sur le dos, une ardoise et de longs crayons d’ardoise, fins et fragiles. Non, nous n’avons pas peur de l’école, bien au contraire ! Fini d’être la risée des plus grands qui savent déjà lire et écrire ! C’est un grand jour qui nous attend. Nous porterons des vêtements neufs et de belles chaussures assorties. Mes cheveux longs sont coiffés, bien ordonnés, en deux tresses qui tombent sur ma poitrine.

Non, les enfants ne pleurent pas lors de leur premier jour d’école, et pour cause. En Allemagne, nous avons une belle coutume : die Schultüte. C’est un grand cornet en carton, décoré de motifs scintillants de toutes les couleurs que les enfants emportent le premier jour de l’école en classe. Pour enlever toute appréhension et crainte en douceur, l’intérieur de ce chapeau pointu à l’envers est rempli de friandises. Il se ferme par du papier crépon, noué d’un beau ruban.

Ma mère m’accompagne jusqu’à la cour de la vieille maison qui abrite notre école provisoire. Une nouvelle est en train d’être construite, à l’instar des habitations de notre cité et de la wasserette. Dans la cour, nous nous mettons en rang avant de prendre connaissance de notre local. Par chance, mon amie Solveig entre avec moi dans la même classe. Nous y découvrons un petit mobilier en bois, plein de cicatrices, que le temps lui a infligé. Les pupitres sont prévus pour deux personnes. C’est rassurant de ne pas être seul. À deux, nous pouvons discrètement nous entraider. En dessous du banc d’école, chaque élève a un espace étroit pour ranger ses affaires. Ça sent un peu la brocante. Assises sur nos chaises, nous attendons, timides, notre maîtresse, qui nous donnera tous les cours pendant quatre ans. Voilà qu’elle pousse la porte. À quoi ressemble-t-elle ? Notre “Fräulein” est une jeune femme svelte, de taille moyenne, avec des cheveux auburn, bouclés.
Appelez-moi Fräulein Müller, nous dit-elle. Nous nous présentons et faisons la connaissance de nos camarades de classe. Nous chantons quelques chansons populaires connues pour nous détendre.
Chanter c’est gai et fait oublier la peur de cette inconnue que nous devrons affronter, même si notre classe chante un peu faux. Notre mademoiselle semble beaucoup aimer le chant, et voilà qu’elle nous livre d’une voix forte un bel canto auquel nous ne sommes pas habitués, et sa rafale interminable de trémolos déclenche une hilarité générale. Nous nous éclatons de rire ! Consternation de Fräulein Müller. Ahurie, elle s’adresse à moi pour savoir ce qui nous fait tant rire ! Je suis bien embêtée je sens que la réponse est inavouable. Je sais pourquoi nous avons ri comme des fous. Pour sauver ma peau, je prétends l’ignorer. Ma première leçon est apprise. Il vaut mieux se taire que d’être le bouc émissaire pour la classe et de subir sa colère. Notre diva méconnue n’est pas très contente. Je saurai plus tard qu’elle est chanteuse à ses heures.
Je n’ai jamais oublié un détail physique chez elle : lorsque je me trouve pour la première fois en face d’elle, je n’en crois pas mes yeux ! Les siens ne sont pas de la même couleur : un oeil est brun, l’autre est bleu !

Nous apprenons que l’école commence du lundi au samedi, de huit heures du matin jusqu’à treize heures ; que nous devons nous lever lorsque notre enseignante entre la classe pour la saluer à voix haute, puis joindre nos mains, et prier tout haut le « Notre Père ». L’Allemagne est pour la plupart catholique ou protestante selon les régions. Le « Pater » convient à tout le monde, et tant pis pour les athées.

Maman m’attend à l’entrée de l’école pour me ramener. Je ne peux pas encore aller toute seule et traverser les dangereuses rues, loin de ma cité tranquille. Le premier jour est une grande aventure, couronnée de nouvelles connaissances prometteuses, et de bonbons à piocher dans ma corne d’abondance.

Ma cousine allemande m’a confirmé que cette belle coutume avec la “Schultüte” est toujours observée à l’heure actuelle. D’ailleurs, j’ai pu en acheter une, adaptée au goût moderne des écoliers, juste en face de ma maison natale. C’était l’heure du midi et le petit magasin était fermé. Mais voilà que la propriétaire réapparaît et reconnaît mon cousin qui me présente. Elle est bien étonnée de voir la petite fille des boulangers Scheinert venir sur le lieu de ses origines après 64 ans. Avec plaisir, elle ouvre vite sa boutique et me laisse choisir une Schultüte que je ramène chez moi à Waterloo. Mon but est d’en parler à mes petits-enfants et de leur faire connaître nos belles coutumes.

Je tire mon chapeau au génie qui a eu cette brillante idée pour enlever l’appréhension des petits écoliers le premier jour d’école. Ces petits innocents, qui ne savent pas encore que c’est le début d’un long chemin parsemé d’angoisses, de pressions, de compétitions féroces, et de déceptions, ces ingrédients qui font partie de la grande école de vie.
Heureux, celui qui trouve un maître qui sait lui insuffler l’enthousiasme pour la matière, la force de caractère et l’éthique aussi — celui qui encourage avec bienveillance. Quel cadeau, l’enseignant qui rend plus fort quand nous sommes au plus bas, ou lorsque nous risquons de perdre l’estime des autres et surtout de nous-mêmes !

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1 commentaire Répondre

  • Souris verte Répondre

    Je trouve cette coutume tout à fait géniale ! Et elle est toujours d’actualité ...

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