Ce texte fait partie du feuilleton d’Yvette Lire l’ensemble

Papa étant l’instituteur du village et la classe étant comme un prolongement de notre logis, j’y avais accès dès mes 3 ans pour jouer et dès mes 5 ans pour y commencer mes apprentissages.

C’était une école communale mixte. Durant 13 ans, elle a accueilli une quarantaine d’enfants de 6 à 14 ans, de ces deux villages proches de Bastogne : Foy et Recogne. Dans ces villages, Papa était respecté par les parents et par ses élèves. Mais il pouvait faire peur car il lui arrivait de perdre patience et de laisser aller sa colère en donnant une ou deux gifles. Il avait le visage anguleux, des cheveux et une moustache très noire, des yeux plus noirs encore. Ce physique-là ajoutait peut-être à la crainte que certains éprouvaient face à lui. Dans les années cinquante il avait déjà entre 45 et 50 ans et beaucoup d’expérience dans le métier. Il s’était débrouillé pour fabriquer tout un matériel didactique innovant et ludique. Ainsi, pour nous distraire les jours de pluie, quand les récréations se passaient à l’intérieur, nous avions des cartes de géographie électrifiées : 4 continents et la Belgique. Sans avoir jamais quitté notre Ardenne profonde, on apprenait où coulait le Nil ou le Mississipi, où se trouvaient le Détroit de Gibraltar, la mer Egée, le Groenland, le port d’Anvers.

Il était sévère, je vous l’ai dit, mais il pouvait se montrer tendre aussi. Je me souviens de Myriam, un peu débile et souffrant d’épilepsie qu’il posait parfois sur ses genoux lorsqu’il prenait le temps de s’asseoir.

Qu’est ce que ça fait d’avoir un père qui est aussi, de 6 à 12 ans, votre instituteur ?

Ma sœur aînée et moi nous aimions l’école et avons appris la plupart des matières sans difficulté. Moi, à cet âge-là, j’étais de nature sage et obéissante. Dans l’école de Papa j’aimais tout : La lecture, l’écriture, les problèmes, les fractions, l’histoire et la géographie, le dessin et le chant, tout. Mon frère, lui n’aimait pas l’école, au grand désespoir de P apa. C’est surtout la lecture et l’orthographe qui furent laborieux. Etait-il dyslexique ? A cette époque on n’expliquait pas cette difficulté très particulière. Pauvre Francis qui ne répondait pas aux attentes de son papa-instituteur. Il n’a jamais, je crois, été giflé. Papa a, pour lui, déployé toutes les astuces et tous les encouragements possibles. Mais il y a eu des coups de gueule, c’est sûr.
Mon frère a gardé de cette enfance-là un léger bégaiement et un manque de confiance en lui.

Nous n’avons jamais parlé de cette enfance commune à l’école de notre papa. Nous reparlons de tout sauf de ça.

Ma sœur cadette, elle, n’a pas de très bons souvenirs non plus. Elle est de nature plus rebelle et a sans doute fâché Papa plus souvent que moi. Elle me dit surtout ne pas avoir été suffisamment stimulée et encouragée à étudier. Il est vrai que nous avions rarement des devoirs et que nous n’avons pas du tout entraîné notre mémoire par des leçons à étudier ou des poèmes à apprendre par cœur.

Après quatre heures, nous jouissions d’une très grande liberté. Nous en usions et en abusions. Je crois que, comme nous, Papa avait surtout besoin de se détendre et de penser à autre chose qu’à notre scolarité.

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