Ce texte fait partie du feuilleton d’Yvette Lire l’ensemble

Mes parents se sont mariés en 1933. Mon père avait 29ans et ma mère 31. A 19ans, tout jeune diplômé, mon père devient maître d’école pour deux petits villages : Foy et Recogne.
Bien que la commune lui fournisse un logement attenant à l’école, il n’est pas pressé de se marier. Après la classe il enfourne son vélo et retourne dormir chez lui, c.à.d. chez son père, sa tante et ses frères. C’est courageux car il y a 12 km à faire et la route est très vallonnée.
Mais, peu à peu, il s’installe, se fait des amis en créant un club de football.
Marcel, le maréchal ferrant, voisin de l’école, le voit souvent arriver après sa classe. La forge est un lieu de rencontre, un endroit fascinant pour mon père qui est un manuel.
Il s’achète un appareil photo et commence à s’initier à ce nouvel art. Il développe ses photos et une des premières sera celle de son mariage avec ma mère qui habitait à 100 m de l’école.

Ma mère était quelqu’un d’assez fragile. Elle nous raconta qu’elle fit sa première dépression à l’âge de 20 ans. Il y en aura d’autres mais les premières années de mariage et la naissance de ses quatre enfants la rassurent. Et surtout papa est quelqu’un de solide et d’optimiste sur qui on peut compter.

Après la guerre dite des 18 jours en 1940, il reste mobilisé dans le sud de la France jusqu’à la fin de l’été. Il rentre enfin au village et la guerre se poursuit dans toute l’Europe.
Au village, c’est l’occupation allemande mais la vie continue. Ma sœur aînée était née en 1938, mon frère voit le jour en 1941. Moi je nais en 1942 et en 1944 viendra ma petite sœur. Plus tard quand j’ai réalisé que j’étais née au pire de la guerre : l’année des rafles, des déportations, des exterminations en masse, j’ai été très choquée.
Mes parents étaient-ils au courant de toutes ces horreurs ? Je ne crois pas. Quoi qu’il en soit, je sais maintenant que l’angoisse du lendemain, la guerre et la famine n’empêchent pas les hommes et les femmes de s’aimer. Mon oncle Charles était prisonnier en Allemagne. Il avait emporté quelques photos et mon père en avait envoyé d’autres. A son retour en 1945, ces photos-là furent les seules qui restaient de ces années de guerre et d’un certain bonheur.

J’avais un peu plus de 2 ans quand arriva le pire en Ardenne. Je n’ai aucun souvenir. Mes parents en parlaient de temps en temps. Il y a peu, nous avons retrouvé chez les cousins de Harchies tout un courrier qui leur fut envoyé durant les mois de janvier, février et mars, juste après la bataille. C’est papa, maman, ou bonne-maman qui écrit ou raconte ces terribles semaines où, le village étant sur la ligne de front, il fallut se terrer de cave en cave, fuir en pleine nuit dans le froid et la neige vers un village un peu plus sûr. Un mois d’angoisse et d’horreur. Papa, le pilier de notre petite famille, avait cru bien faire en quittant le village dès qu’on avait parlé d’une nouvelle offensive allemande. Quand il jugea qu’il était temps de joindre sa femme et ses enfants, afin de faire face ensemble, on ne le laissa pas entrer. De n’importe quel côté qu’il tentât de percer les lignes armées, il était refoulé. Heureusement, maman pouvait compter sur sa mère, son jeune frère, sur les voisines et les cousines. Quand j’imagine ce que moi, petite loupiote de 2 ans, j’ai dû vivre durant ces mois de décembre et janvier, je ressens une immense compassion pour cette petite Yvette qui vivait un enfer. Qui pleurait beaucoup, paraît-il, qui réclamait son biberon, qui avait mal au ventre, qui avait des poux, et qui aurait voulu être prise dans les bras et rassurée. Mais il y avait sa petite sœur de neuf mois qui allait plus mal de jour en jour. Tout le monde souffrait de dysenterie. Je viens de relire une lettre de maman, écrite quelque semaine après les évènements :
« Ce que j’ai souffert dans les caves nuit et jour n’est pas à décrire. Les deux grands sont bien portants mais Yvette et Suzy ont beaucoup dépéri. La petite Suzy qui était si bien portante avant, était comme une pauvre petite plante qui avait manqué de lumière et d’air, elle était jaune. »

Heureusement, je suis sûre que bonne-maman me prenait dans ses bras et essayait de me consoler au mieux. On ne me l’a pas dit, je ne m’en souviens pas. Simplement je l’espère, je le veux ainsi. Le calvaire a pris fin. Nous sommes tous vivants et papa nous a enfin retrouvés. L’école et son corps de logis ayant été incendiés nous sommes hébergés chez une cousine de maman à Libramont. Là, peu à peu, chacun pourra se refaire une santé. De Libramont, date mon premier souvenir. Libramont est un gros village où passent les trains de la ligne Bruxelles-Luxembourg. A cette époque les trains sont encore à vapeur et d’énormes paquets de fumée sortent de la locomotive, surtout au démarrage. Les voies sont enjambées par un pont routier et ce pont est souvent envahi par les fumées. J’en garde le souvenir. Ces paquets de fumées me faisaient très peur. Ce pont même sans fumée me faisait très peur.

A Foy, mon village natal, il ne reste quasiment que des ruines. Peu à peu les fermiers reviennent pour retrouver leur terre, leur gagne-pain. Ils rachètent : lui, un cheval, eux deux vaches…. trois cochons. Ils « charruent » et sèment à nouveau. On reconstruit, on bouche les trous laissés par les bombes, on récupère ce que l’on peut. Le fond d’aide aux sinistrés (F.N.S.S.) s’organise. Des baraquements sont attribués aux familles, des meubles et des vêtements aussi. La solidarité est familiale, nationale et même internationale.

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2 commentaires Répondre

  • Geneviève Répondre

    Bravo Yvette.
    Nous avons passé les vacances de guerre à Redu.
    Maman avec 8 enfants, ma tante avec 6 enfants.
    Nous étions mieux nourris qu’en ville.
    chaque semaine le boucher tuait clandestinement le cochon
    Le matin ns recevions ds notre assiette le lait caillé !
    Les fermes voisines nous vendaient beurre et œufs.
    Et...il y avait 1 grand potager
    En 1944 ma tante est restée au village car à Liège
    la gare était bombardée par les V.1.
    J’avais 5ans.

    • Répondre

      Bravo pour cette nouvelle. Je suis née en 1945, c’est pourquoi on m’a appelée Béatrice (bienheureuse). Comme nous avons maintenant une maison à Anloy (Libin),cela me parle d’autant plus qu’il y a eu des batailles dans le coin.

      Comme on fête les cent ans de 1914, il y a des panneaux avec des explications et toute une promenade qui raconte la "grande guerre" et ce qu’il s’est passé dans les environs.

      Même si nous ne sommes concernées par cette guerre, c’est important de suivre ces mouvements dans la région.Merci Yvette pour ton message

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